Le stoïcisme revisité

Par Benard

parNormand Doiron

Domaine(s) :Philosophie

Jacqueline Lagrée analyse la reprise du stoïcisme à l’âge classique, en montrant quelles transformations les héritiers imposent à leurs aïeux, dépouillant la physique de la métaphysique, et embranchant le matérialisme sur une théologie rationnelle. Dès lors on peut se demander où commence et s’achève cette philosophie éclectique.

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    par Normand Doiron

Recensé : Jacqueline Lagrée,Le néostoïcisme. Une philosophie par gros temps, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2010, 211 p., 20 €.

Le néostoïcisme illustre de manière particulièrement cohérente la renaissance des lettres antiques à l’âge classique. Les fragments des fondateurs grecs Zénon et Chrysippe, les textes de Cicéron, de Sénèque, d’Épictète furent publiés, expliqués, puis imités du début du XVIe siècle (Érasme publie Sénèque en 1515) au milieu du XVIIe siècle. De ce néostoïcisme, Jacqueline Lagrée donne un livre intelligent, rigoureusement construit et fort agréable à lire. Le plan d’ensemble suit l’ordre qui est traditionnellement celui du système stoïcien : la logique, la physique, l’éthique et la politique. Le premier chapitre soulève des questions de méthode sur lesquelles nous reviendrons. Le dernier donne trois exemples de critique du stoïcisme : Pascal s’attaquant à l’orgueil d’Épictète ; Malebranche dénonçant la folie ridicule du sage ; Leibniz condamnant le stoïcisme cartésien qu’il fait apparaître comme une sorte d’indolence sans espérance.

Une physique sans métaphysique

Grand humaniste flamand, Juste Lipse est certainement celui qui a le plus fait pour redonner vie au stoïcisme, par l’édition de textes anciens, par les commentaires et les remarquables synthèses, par sonDe constantia(1584) immédiatement traduit en français. Le grand mérite de Lipse, c’est de « ne pas avoir séparé, suivant en cela le modèle antique du Portique, la philosophie pratique (morale et politique) de ses racines physiques » (p. 45). L’un des grands mérites de Jacqueline Lagrée, c’est de démontrer qu’« il n’y a pas de métaphysique néostoïcienne et que la physique remplit les fonctions ailleurs dévolues à la métaphysique » (p. 47). Il n’y a pas davantage d’ontologie, du moins au sens aristotélicien : être, c’est être corps. C’est précisément cette absence de fondement et d’au-delà qui rend possible le couplage d’une sagesse tout humaine et d’une théologie révélée qui, elle, connaît les origines et les fins dernières. Cette analyse s’avère aussi convaincante qu’ingénieuse. L’image en est ce corps particulier qu’est le feu artiste et créateur de la physique stoïcienne, que Lipse peut comparer au buisson ardent, qui est le visage de Yahvé devant Moïse, ou aux langues de feu de la Pentecôte, qui manifeste la présence de l’Esprit Saint.

En conséquence, la physique des Stoïciens intègre la théologie. Dieu n’est pas séparé du monde mais mélangé à lui. Lipse, il n’est pas le seul, voit le risque d’une telle position. Mais il n’empêche que le néostoïcisme s’inscrit dans le courant beaucoup plus vaste d’une philosophie naturaliste et rationnelle qui le porte et le promeut. J’aurais souhaité que Jacqueline Lagrée précise la place du néostoïcisme dans le mouvement naturaliste de la Renaissance, allant de Nicolas de Cues à Giordano Bruno.

C’est là un des principes du néostoïcisme : l’inexistence de la métaphysique et la théologie naturelle se tiennent, l’une sert à l’autre d’argument. Le rationalisme moderne récupère et donne un nouveau sens à l’ordre du monde de l’ancien stoïcisme. Encore une fois, c’est l’une des belles réussites de Jacqueline Lagrée que de définir le néostoïcisme à partir de critères qui ne tiennent pas au christianisme, mais à la philosophie stoïcienne elle-même, telle que la comprirent les hommes des XVIe-XVIIe siècles.

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