Une politique monétaire a toujours quatre niveaux :
1. Restrictive, quand la croissance de l’économie est au-dessus de son potentiel et/ou que des tensions inflationnistes commencent à poindre, ce qui veut dire des taux courts au dessus du taux de croissance de l’économie.
2. Neutre, quand l’économie croît à son potentiel de croissance, ce qui veut dire des taux d’intérêt légèrement inferieurs au taux de croissance du PNB nominal.
3. Stimulatrice, si la croissance est très inferieure à son potentiel et/ou si un choc exogène vient à frapper le pays (voir le Japon aujourd’hui). Les taux doivent être à ce moment très en dessous de la croissance du PNB et des injections de liquidités peuvent être pratiquées.
4. Très stimulatrice (panique), s’il existe un risque de faillites en chaîne de pays ou de banques (souvent liées), du type de celles que nous avons eu dans les années ’30 ou que nous avons failli avoir récemment. Dans ces cas-là, les taux d’intérêt réels (taux courts moins taux d’inflation) peuvent et doivent être négatifs (pendant une brève période) et la courbe des taux doit être très pentue (pendant longtemps) pour que les banques commerciales puissent reconstituer leurs fonds propres. Des injections massives de liquidités doivent être pratiquées.
Depuis la grande crise de 2008-2009 et la crise de l’euro en 2010, les deux grandes banques centrales du monde, la BCE et la FED ont été fermement sur le mode « panique », et à juste titre.
Malheureusement, des taux d’intérêt réels négatifs ont de multiples inconvénients, le premier étant que les taux négatifs permettent aux « canards boiteux » de survivre, ce qui empêche toute croissance (pas de destruction dans le processus de création destructrice) et le second que l’État peut se financer à bon compte, ce qui favorise la hausse du poids de l’État dans l’économie, toujours une mauvaise chose. Accessoirement les taux réels négatifs amènent toujours à des explosions à la hausse de l’or et des matières premières et souvent à une hausse générale des prix (inflation).
Le capitalisme en fait ne peut pas fonctionner si le coût du capital est négatif. Il a besoin d’un coût du capital « discriminant ».
Aujourd’hui, compte tenu des chiffres très satisfaisants de la croissance dans le monde en général et dans le nord de la zone euro en particulier, la BCE a décidé de commencer à ramener le curseur de la politique monétaire de « panique » à « stimulatrice », sans doute en route vers le point « neutre » d’ici quelques mois, et je suis parfaitement d’accord avec cette position qui me parait très sage. (Pas souvent que je suis d’accord avec monsieur Trichet.)
La Fed de son coté apparaît fermement décidé à maintenir ses taux courts au niveau « panique », ce qui me parait être une grave erreur.
Ce que je pense n’a cependant guère d’importance.
(Illustration René Le Honzec)
La réalité de marché est que les deux grandes banques centrales sont en train d’entrer en désaccord et que dans le passé chaque fois que cela s’est produit nous avons eu une grave crise financière.
Si l’on remplace la BCE par la Bundesbank, je peux citer les dates de 1971, 1973, 1979, 1987, 1992, 2008, toutes marquées par des événements fort désagréables sur les marchés, surtout si le dollar était à l’époque à un niveau artificiellement déprimé, ce qui est le cas aujourd’hui.
Les USA sur les 12 derniers mois, ex pétrole et ex Chine ont déjà une balance des comptes courants excédentaire. Cette divergence des politiques monétaires risque de faire baisser encore plus le dollar, déjà hyper compétitif. La pression concurrentielle déjà très forte que l’industrie américaine exerce sur le reste du monde (pensez Airbus contre Boeing) s’en trouverait fortement renforcée, les matières premières repartiraient à la hausse, aggravant à la fois les tensions inflationnistes et sécessionnistes (stagflation, nous voici), le consommateur serait appauvri partout…
Bref, comme en 1972, en 1978, en 1987, les USA tiennent le discours, « le dollar est notre monnaie et votre problème » (Conolly secrétaire d’État au Trésor en 1972) et prétendent suivre une politique monétaire fondée sur des critères purement domestiques, en oubliant que le dollar est la monnaie de réserve du monde Ce genre d’attitude s’est toujours retourné contre eux et contre l’économie américaine, mais ils ont apparemment la mémoire courte et pensent que manipuler la monnaie est plus facile que de prendre des décisions courageuses. Grave erreur s’il en fut…
Cette attitude est grosse de dangers importants. Pour être honnête, parfois les USA avaient raison (1992, 2008), parfois ils avaient tort (72, 78, 87…) mais la réalité est que les deux banques centrales dans ces cas-là ne peuvent pas avoir raison toutes les deux à la fois.
Si l’une a raison, l’autre a tort et je sais donc que l’une des deux est en train de faire une erreur monumentale.
Les erreurs monumentales de politique monétaire ont toujours des conséquences financières importantes.
Attachez vos ceintures…