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Faux raccords - 2 -

Par Bibliomanu
Faux raccords - 2 -La litanie de 1 dura longtemps. Elle s'égrena dans sa tête avec la régularité du sillon rayé sur un disque. Puis, sans que Gaël eût l'impression de maîtriser quoi que ce soit, un 2 émergea enfin, aussitôt suivi d'un 3, puis d'un 4 et d'un 5. Ce fut là le signe d'une concentration recouvrée. D'une possibilité de retour à la normale, quand bien même celui-ci devrait s'avérer temporaire. Tout dépendrait des événements et des découvertes à venir. C'était là sa seule certitude. Car des circonstances qui l'avaient amené ici, Gaël ne conservait aucun souvenir.
La chambre n'avait rien d'ordinaire. Elle ne ressemblait à aucune de celle qu'il avait pu voir à ce jour. Celle-ci transpirait le vide. Pas le vide des chambres d'hôtel aseptisées à l'extrême où l'on parvenait toujours à deviner, à travers d'infimes détails, les traces d'un passage. Ici, hormis le lit qui gardait encore l'empreinte de son corps sur le matelas et de sa tête sur l'oreiller, il n'y avait aucun meuble, aucune étagère, aucun objet personnel, aucune décoration. Un rideau était bien suspendu mais Gaël le remarqua à peine tant il se fondait dans l'absence de décor. Les murs, la tringle, la moquette, le lit, les plinthes, tout était blanc. Jusqu'à la poignée de la porte.
La porte.
Gaël hésita à l'ouvrir, à tenter de l'ouvrir. Il redoutait de découvrir ce qui l'attendait derrière ou, en la trouvant close, d'être confronté à une détention dont il aurait été bien en peine d'imaginer les causes.
Lentement, sa main tendue en arrière et sans même regarder derrière lui, comme s'il avait déjà pris les marques de cet espace clos, il s'assit sur le lit.
Toutes ses pensées se tendirent dans le même but : fouiller dans sa mémoire les événements de la veille. Oui, il devait procéder ainsi. Revenir en arrière, repasser le film de sa journée. Il finirait bien par tomber sur l'instant où... Où quoi ? Où il s'était évanoui ? Où on l'avait drogué ou même assommé ? Où il s'était fait renverser par une voiture ? Dans ce cas, pourquoi n'était-il pas dans une chambre d'hôpital ?
Repasse ta journée, Gaël, repasse ta journée ou sinon tu n'arriveras à rien.
Sa journée, sa journée. C'était si facile à dire, ces deux petits mots. Sa journée.
Ma journée. Ma journée. Ma journée. Oui, ma journée. Mais merde, qu'est-ce que j'ai fait hier ? Où est-ce que j'étais, bon sang ? Pourquoi est-ce que je ne me rappelle rien ? Non, c'est faux. Je me rappelle mon appartement, mon prénom, mon nom, toute la thune familialle laissée en héritage. Je me souviens aussi de mes plus proches amis, Marco, Jean-Bapt, Lucie, Sylvie et les autres, des moments passés ensembles lors de soirées bien arrosées pour mes vernissages. Je connais par cœur les reliefs de la morsure sur mon épaule laissée par le chien des Trudel, les voisins des parents, alors que j'avais quoi ? Six, sept ans, à tout casser. Tout ceci est là, dans ma tête jusqu'à... Bordel ! Je n'arrive à pointer ma mémoire sur aucun dernier souvenir. Je n'ai en tête qu'un package global, un amalgame de vie. Je sais pourtant bien qu...
A cet instant, sans un regard opacifié par une larme naissante sur le rideau, Gaël aurait très bien pu être emporté par un nouvel élan de panique. Au lieu de quoi, il se leva, certain qu'en faisant coulisser d'un coup sec le morceau de tissu le long de la tringle, le paysage qu'il trouverait derrière la fenêtre suffirait à le rassurer une bonne fois pour toutes. Ou provoquerait en tout cas le déclic à même de le remettre sur les rails.
Il tira le rideau. Le spectacle qui s'offrit alors à sa vue l'émerveilla et le terrorisa à la fois. Les couleurs inondant sa rétine provoquèrent en lui une légère sensation de vertige. Elles contrastaient tellement avec l'aspect immaculé de la chambre !
Gaël laissa échapper une larme. L'océan de verdure battu par le vent où des chevaux galopaient, libres comme l'air, était si beau. Tout comme l'était le turquoise du ciel dans lequel des nuages embrasés par un soleil couchant s'effilochaient ici. Ou là. Oui, à n'en pas douter, le paysage était magnifique. Il parvenait presque à faire oublier la brique de béton sur laquelle lui, Gaël Jameno, l'avait dessiné.
Il l'avait signé.
A suivre...

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