“On nous explique que ce sont des gens malheureux, qu’ils sont tristes. Du coup ils votent Le Pen pour manifester leur chagrin” S. Aram le 23 mars 2011
La vulgarisation de l’espace médiatique fait qu’en ces temps d’extrême droite dilatée, chaque commentateur émet sa petite musique dont l’objectif un peu fou consiste à endiguer ses poussées électorales. Chaque fait, détail, geste méticuleusement disséqués au regard de ce que pourrait penser l’hypothétique votant du Front National. Tous les arguments alors se valent, lancés à l’encan, de la diabolisation à la dédiabolisation, du manque de fond ou de l’attitude trop ou pas assez pugnace des médias. Mais de toute manière, le sachant en “fronationalogie” évalue sans coup férir de combien de points (au dixième près) cette poisseuse particularité de la démocratie française va encore s’épaissir. Quand une humoriste de la radio publique, Sophia Aram, au cours d’une chronique, lâche l’avanie “gros cons” en direction des endimanchés de l’isoloir, toute la fine fleur de la politicologie française tient là l’origine du mal, l’archétype même de ce qu’il ne faut pas faire, car comme le veut le mantra plus que trentenaire : “cela va faire monter le front national…”
De plus, l’attitude consistant à sonder l’âme du gueux à la dérive, ne sachant plus à quel démon se vouer pour faire entendre ses plaintes stridulantes relève d’une analyse partielle du phénomène. Mais aussi et surtout partiale du sujet. C’est garder en mémoire la rémanence des “études” erronées de 2002 sur le vote “ouvriers” (entendre incultes) en faveur de J. M. Le Pen. Une manière de penser qui confine au dressage d’une portion spécifique de la population. Laissant entendre que les classes populaires sont plus enclines culturellement à la rigidité, l’intolérance et la bêtise. Une ignorance sourde qu’il faut s’échiner à briser par les lumières érudites de quelques politologues en goguette. Les études sur 2002 montrent pourtant que les professions libérales et patronales se sont aussi tournées massivement vers le FN.
Reste l’hypothèse irénique du vote protestataire, dont l’appareil frontiste servirait de réceptacle. Qui supposerait que massivement, à force de ne pas être entendu, l’électeur par dépit se porte sur l’alternative radicale du vote xénophobe. Dans un processus d’ultimatum au système. Au premier tour de l’élection cantonale de 2011, 1 300 000 votants se sont portés sur un candidat du FN, quand 11 800 000 ne sont pas déplacés sur un total de 21 000 000 d’électeurs potentiels. Les éléments de programme “sociaux” du parti agrémentent seulement le cœur du système médiatique principalement basé sur la haine de l’autre, le roman national, et l’islamophobie. Les idées sont largement répandues et les débordements ont un large écho médiatique. On ne s’abandonne pas (massivement) aux sirènes xénophobe par dépit, ou sur un malentendu. Le Vote FN n’est pas un hasard, ni une coïncidence. Pourtant on continue de spéculer sur l’hypothèse protestataire.
Le front national est un produit identifié, bien marketé dont le côté subversif s’est estompé depuis 2002. Dans ce cadre, il n’est plus une dernière alternative pour les désespérés de la politique, mais bel et bien un vote ciblé sur des concepts certes rudimentaires mais clairs. Les commentateurs et les hommes politiques se rassurent comme ils le peuvent en prétendant contrôler le phénomène, voire le comprendre, ou en ayant localisé les causes (bien sûr autre que la xénophobie).
S. Aram a totalement raison, et les causes sont limpides. Dans le marché politique tel qu’il existe aujourd’hui, l’acheteur xénophobe va se servir en xénophobie chez le meilleur des dealers. Le reste est une histoire de “gros cons”.
Vogelsong – 23 mars 2011 – Paris