Bien plus que l'odeur qui lui était étrangère, bien plus encore que le contact un peu rêche de la taie d'oreiller sur sa joue, plus rêche qu'à l'habitude en tout cas, ce fut le silence qui tira Gaël Jameno de son sommeil. Une telle absence de bruit n'était pas normale. Pas normale du tout. Pas chez lui, pas dans la rue où il habitait.
Il n'osait pas ouvrir les yeux. En plus de cette anomalie, de ce silence obsédant qui sonnait à son oreille comme un avertissement, il éprouvait une sensation étrange, dérangeante. En d'autres circonstances, il ne lui aurait peut-être pas attaché d'importance. Mais là... Là, c'était comme si quelque chose avait irrémédiablement changé en lui... Comme si... Non, il ne devait pas laisser la peur se nicher en lui et se propager. Il devait laisser ses vieilles craintes au placard. Respirer calmement. Compartimenter. 1,2,3... 1,2,3,4. Il avait l'impression d'avoir dormi trop longtemps, que son réveil aurait dû sonner depuis un moment déjà. Et alors ? La fatigue des derniers jours l'avait sans doute rattrapé, voilà tout. Quant au silence, eh bien ? Quel jour étions-nous ? Dimanche, sans doute, ce qui expliquerait la... non, jusqu'à présent la ville ne s'était jamais tue. Jamais ainsi. 1,2... 1,2,3... 1,2,3,4. Compartimenter.
Gaël ne faisait pas partie de ces personnes qui aspirent à tout prix au calme ou au silence. Il aurait très bien pu se permettre de se retrancher à la campagne, de se faire construire une immense baraque, loin de tout et de tous. Il en avait les moyens. Au lieu de quoi, il avait acheté un appartement en plein centre ville. Là où se nichaient restaurants, pubs et autres commerces de nuit et où ne manquaient pas de se retrouver les noctambules de tous poils.
Gaël avait besoin du bruit, besoin de sentir la clameur de la ville en dessous de lui. C'était comme un équilibre salutaire, aussi bizarre que ça puisse paraître, et peu importait ou non qu'il participe à cette liesse de l'existence bourdonnante, balancée par ses turpitudes incessantes et répétitives. Il lui suffisait de sentir ses vibrations, de l'entendre se manifester par les soubresauts du quotidien pour avoir l'impression de vivre et, par extension, de conjurer l'approche de la mort.
Aussi le silence qui le cueillit à un moment où il aurait été bien en peine de dire s'il s'agissait du matin, de l'après-midi ou du soir, le renvoya à ses vieux démons. Ceux là même qui , tout compte fait, le poussèrent à ouvrir les yeux. Seul le retour à la réalité, pensait-il, lui permettrait de les refouler.
Il ne pouvait pas plus se tromper. Lorsque ses paupières se levèrent sur l'élan de l'espoir, force lui fut de constater que ses vieux démons venaient de se trouver de la compagnie.
Gaël se leva d'un bond. Dans une pièce qui lui était totalement inconnue. Et ce silence... toujours ce silence.
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A suivre...