Voici tout juste cinquante ans, le jeune Youri Gagarine quitte la Terre à bord de sa capsule Vostok et, en 108 minutes, réalisele premier tour de la planète depuis l’espace. Ses chances de revenir vivant sont alors de une sur deux… Premier “cosmonaute de l’humanité”, il symbolise tout à la fois la nouvelle puissance technologique d’un système militaro-industriel — celui de l’Union soviétique — et, plus fascinant encore, une nouvelle étape dans l’odyssée de l’homo sapiens sapiens venu d’Afrique, celle de sa sortie du “berceau” planétaire. Ses “pères cosmiques”, le savant Tsiolkovski et le constructeur général Korolev, rêvent de la Lune et de Mars. Tous ont lu Le songe de Kepler et les Voyages extraordinaires de Jules Verne, symboles d’un imaginaire visionnaire.
Gagarine n’est pas seul. Autour de lui se construit la Cité des étoiles, où s’entrainent les premiers cosmonautes. À Samara, la nouvelle industrie spatiale fabrique des fusées à la chaîne – “Comme des chapelets de saucisses”, aurait alors expliqué Khrouchtchev à l’un de ses visiteurs — et augmente leurs capacités d’emport. Aux États-Unis, en raison du “flopnik” et de l’engagement politique de John Fitzgerald Kennedy, la destination Lune est affichée comme la feuille de route prioritaire du nouveau programme spatial. Sous la houlette inspirée d’un ancien nazi, l’ingénieur Wernher von Braun, père des fameuses fusées V2, l’Amérique prend la tête de la course et ne la lâchera plus jamais. Huit ans et trois mois seulement séparent le premier vol de Youri Gagarine du débarquement sur la Lune de Neil Armstrong !
Un demi-siècle plus tard, l’“homo espaçus” tourne en rond autour de la Terre. Il a remis à une date ultérieure l’exploration habitée du Système solaire — la compétition Est-Ouest n’est plus — et s’apprête à vivre de longues années à bord de la Station spatiale internationale, cet observatoire privilégié des mutations climatiques de la planète bleue.
L’ère des Gagarine et Armstrong appartient à une époque épique, révolue, comme celle des pionniers de l’aviation. S’il y a encore des micros et des caméras pour suivre l’expérience Mars 500 — un voyage virtuel aller-retour vers la planète rouge —, il n’y a plus de directs télé pour vibrer au décollage ou à l’atterrissage des équipages. La dernière mission de la navette spatiale sera l’exception, comme le premier lancement de Soyouz depuis la Guyane, à la fin de cet été.
Paradoxalement, jamais l’Espace n’a été aussi présent dans nos vies — à travers les services de télécommunications, la géolocalisation, la défense, l’observation de la Terre et les observatoires scientifiques — et jamais, encore, il n’a été aussi invisible. Il s’est “filigrané” à la société et a quasi disparu des écrans radars de l’actualité. Privés de voyages lointains, de “nouvelles frontières” à explorer, les héritiers de Gagarine n’ont rien perdu des rêves qui habitaient les premiers d’entre eux.
Mais l’image de la Terre, vue de l’extérieur, petite et fragile, est venue bouleverser la mythologie du départ dans les étoiles. Comme Youri, ils ont été rattrapés par la gravité…
Alain Cirou
Directeur de la rédaction
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