Illumination initiale
Les cormorans de Lindisfarne, le bec bien plein,
lâchent des pluies d’écailles, scintillants confetti.
Après des semaines, le beau temps revient enfin
ce dimanche, dans mon train pour le front et Dundee
à St Andrew’s où je m’en vais enregistrer,
doutant, en ces jours sombres, du pouvoir de la poésie
et voyant, autour de l’île, les brumes se lever,
de la Bible de l’obscur Moyen Age aussi.
Eadfrith le scribe et enlumineur saxon
dessina les cormorans qui volent là, au-
dessus de cette même île, après treize cents ans
dans le I initial du in principio.
Billfrith, ses joyaux de papier furent pillés
par des assoiffés de butin, fous furieux raiders,
le genre qu’on recrute encore dans les armées
pour faire le sale boulot des dictateurs.
Dans saint Jean et saint Marc, les initiales, pourtant,
avec les cormorans d’ici ornementées
en des temps obscurs (mais pas tant que maintenant)
survivent dans ces pages enluminées.
La Parole de Dieu si joliment transcrite
par Eadfrith et Billfrith, l’ermite solitaire,
les escrocs du Pentagone l’ont à nouveau conscrite
afin de camoufler la croix sur le viseur.
Bougie, feuille d’or et pinceau, le geste constant,
c’est tout ce qu’Eadfrith avait pour magnifier
la Parole de Dieu que George Bush cite tant
que sa parole a illuminé le ciel de minuit
et trompé le coq de Bagdad qui se méprit,
prenant les bombes à tort pour l’aube nouvelle,
il chanta à pleins poumons mais avait péri
quand arriva le matin, sous le raid mortel.
À présent, avec les phares de jour au Koweït,
l’inhumation à Bagdad des victimes des braises
qu’ils se souviennent donc, tous ceux qui font la fête
que leur bonne nouvelle est pour d’autres mauvaise
ou l’Humanité ne sera jamais éclairée.
Est-il vraiment ouvert, ce V de la victoire,
cette initiale insulaire incorporée
aux cormorans, cou flasque, sortant d’une mer noire,
aux trompettes tonitruantes et triomphantes
célébrant de prétendues victoires pour leurs guerriers,
et le coq acclamant le feu, tous ceux qui chantent
mais ne sentent le tas de fumier à leurs pieds
Tony Harrison, Cracheur de feu, traduit de l’anglais par Cécile Marshall, Prix Européen de Littérature, Arfuyen, 2011, pp. 132 à 135
Initial Illumination
Farne cormorants with catches in their beaks
shower fishscale confetti on the shining sea.
The first bright weather here for many weeks
for my Sunday G-Day train bound for Dundee,
off to St Andrew’s to record a reading,
doubtful, in these dark days, what poems can do,
and watching the mists round Lindisfarne receding
my doubt extends to Dark Age Good Book too.
Eadfrith the Saxon scribe/illuminator
incorporated cormorants I’m seeing fly
round the same island thirteen centuries later
into the In principio’s initial I.
Billfrith’s begemmed the jewelled boards get looted
by raiders gung-ho for booty and berserk,
the sort of soldiery that’s still recruited
to do today’s dictators’ dirty work,
but the initials in St. John and in St. Mark
graced with local cormorants in ages,
we of a darker still keep calling Dark,
survive in those illuminated pages.
The word of God so beautifully scripted
by Eadfrith and Billfrith the anchorite
Pentagon conners have once again conscripted
to gloss the cross on the precision sight.
Candlepower, steady hand, gold leaf, a brush
were all that Eadfrith had to beautify
the word of God much bandied by George Bush
whose word illuminated midnight sky
and confused the Baghdad cock who was betrayed
by bombs into believing day was dawning
and crowed his heart out at the deadly raid
and didn’t live to greet a proper morning.
Now with noonday headlights in Kuwait
and the burial of the blackened in Baghdad
let them remember, all those who celebrate,
that their good news is someone else’s bad
or the light will never dawn on poor Mankind.
Is it open-armed at all that victory V,
that insular initial intertwined
with slack-necked cormorants from black lacquered sea,
with trumpets bulled and bellicose and blowing
for what men claim as victories in their wars,
with the fire-hailing cock and all those crowing
who don’t yet smell the dunghill at their claws?
Bio-bibliographie de Tony Harrison
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