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La mémoire perdue

Par Borokoff

A propos de Les chemins de la mémoire de José Luis Peñafuerte 3 out of 5 stars

La mémoire perdue

Plus de 35 ans après la mort du dictateur espagnol Franco (1892-1975), l’Espagne semble encore réticente à l’idée de se pencher sur son passé récent. A travers des témoignages de rescapés de la guerre civile espagnole (1936-1939), d’enfants de victimes de Franco, José Luis Peñafuerte revient sur une histoire du XXème siècle sanglante mais que l’Espagne a du mal à assumer.

Dans les premiers plans de Les chemins de la mémoire, on voit un médecin légiste et anthropologue rouler en direction d’un village basque où a été récemment mise à jour une fosse contenant des victimes de la guerre civile espagnole (1936-1939). Des fosses comme celle-ci (d’une centaine de cadavres), l’Espagne en compte des dizaines à travers tout son territoire. La plupart des victimes n’ont pas été exhumées, leurs descendants n’en ayant pas fait la demande. Difficile d’évaluer le nombre de morts, « républicains » et « nationalistes », qu’a fait la guerre civile, mais leur le nombre est estimé entre 380 000 et 451 000.

Entre 1939 et 1943, Franco fit exécuter entre 30 000 à 200 000 républicains, pour la plupart communistes. Mais les villageois assassinés sous Franco et dont le médecin légiste exhume les dépouilles dans le film sont pour la plupart des innocents, artisans, gens du peuple honnêtes et apolitiques, dénoncés à tort par un membre de leur propre famille autoritaire et soucieux à la fois d’en devenir le chef et de se faire bien voir par les Nationalistes.

Pour le légiste espagnol, dont le travail l’a amené à constater avec stupéfaction que l’Espagne ressemblait à une immense fosse commune où gisaient des victimes du franquisme, la difficulté essentielle tient à pouvoir mettre un nom et à identifier les ossements qu’il retrouve.

Travaillant « sur commande », le médecin anthropologue confie que la plupart des familles ne tient pas à déterrer ses morts ni à ressasser le passé. Pour l’écrivain Jorge Semprun, cette amnésie volontaire, ce refus de mémoire sont des traits de la mentalité espagnole, incapable d’assumer les tragédies de son Histoire, de l’expulsion des Musulmans du pays sous Philippe III (Reconquista) à la conversion forcée au catholicisme des Morisques restés dans la péninsule ibérique. Sans parler de l’évangélisation sanglante et forcée des peuples d’Amérique du Sud par les Conquistadors.

C’est le constat peu reluisant que fait le réalisateur et scénariste de Les deux mémoires (1974),  qui évoque aussi le rôle peu reluisant que la France a eu en 1940 lorsqu’elle parqua sans états d’âme des centaines de milliers de réfugiés « républicains » espagnols dans des camps du Sud de la France. Certains finirent par être déportés dans des camps nazis. D’autres rejoignirent la légion étrangère ou la résistance française.

Découpé en plusieurs parties, Les chemins de la mémoire alterne images d’archives, témoignages devant des collégiens d’un poète victime de tortures sous Franco, d’une fille de victimes exilée en Belgique puis revenue en Espagne, etc…

Mais le documentaire manque de tension, d’unité, donnant le sentiment d’être un peu décousu. Les plans récurrents de deux danseurs contemporains mimant une lutte au corps au corps sont par exemple peu convaincants.

La mémoire perdue

Le documentaire de José Luis Peñafuerte ne manque pas d’intérêt bien au contraire, mais il donne parfois l’impression de partir dans tous les sens, de naviguer entre plusieurs points de vue sans en mettre un vraiment en valeur. Il y a pourtant des moments très émouvants, comme ces plans fixes d’anciens prisonniers posant dans les anciennes geôles de la prison franquiste de Carabanchel. La démolition de la prison madrilène en 2008 n’en dit-elle pas long sur les difficultés du devoir de mémoire en Espagne ?

Il a fallu pourtant un courage indéniable au réalisateur espagnol pour affronter un passé de l’Espagne franquiste encore brûlant et sur lequel les Espagnols se divisent quand ils veulent bien l’évoquer. Les plans montrant des célébrations de nostalgiques de Franco montrent qu’ils sont encore nombreux à commémorer la mort du dictateur espagnol. L’interview d’un curé niant non seulement les crimes de Franco mais vantant une époque de « prospérité où les gens vivaient heureux » est stupéfiante.

Alors, dans ce panaché d’images, cet ensemble un peu disparate, on retiendra surtout une parole de Semprun sur le devoir de mémoire, nécessaire pour à la fois comprendre l’Espagne d’aujourd’hui et ne pas répéter les erreurs du passé. Ni revivre la même tragédie…

www.youtube.com/watch?v=4RDysbAhvt0


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