Il était une fois
Un homme de peu de foi
Qui possédait beaucoup d’argent.
Il habitait une maison très belle,
Mangeait avec ses gens
Dans une vaisselle
De vermeille,
(Une merveille !)
Et roulait dans un carrosse en or.
Mais ce monsignor,
Qu’il était laid, mon dieu
Avec sa barbe bleue !
D’ailleurs les gosses
L’appelait « Barbe Bleue ».
De plus, il était si féroce
Qu’il n’était ni femme ni fille
Qui ne s’enfuit
Devant lui.
Or sa voisine avait deux filles
Très belles.
Un jour, il demanda
La main de l’une d’elle.
Mais celle-ci refusa
Car Barbe Bleue avait eu
Plusieurs femmes
Et elles avaient disparu
Mystérieusement. O drame !
Mais il mena les filles
Et leur famille
Dans son château, chez lui.
On passa les nuits
A festoyer et danser.
Le jour, on allait chasser,
Pêcher,
Se prélasser….
Si bien que la cadette
Considéra le châtelain
Ni vilain
Ni malhonnête.
Alors, dès qu’on fût
De retour à la ville
Le mariage fut conclu.
Un mois après, en avril,
Barbe Bleue prévint sa femme :
-« Belle dame,
Je pars vingt jours
Pour
Une affaire de conséquence.
Pendant mon absence
Vous pouvez vous divertir,
Faire ripaille,
Mais je dois vous interdire
L’accès à mon cabinet de travail.»
Les voisins, amies et compères
De la jeune mariée profitèrent
De ce déplacement
Pour aller voir ses appartements.
Tout était si beau
Dans ce château !
La maitresse de maison,
Fit tout visiter
A ses invités
Et leur dit :
« J’ai la vive tentation
D’ouvrir ce bureau interdit.»
Ses amis restèrent prudemment
Sur le seuil.
Elle, bravement,
Y entra seule.
Elle tremblait fort.
De prime abord,
Elle ne vit rien,
Les contrevents ayant été bien
Fermés. Elle les ouvrit
Et stupéfaite, découvrit
Les corps des femmes
Tuées par son infâme
Mari, Barbe Bleue.
Prise d’une peur bleue,
Elle sortit si vite de la pièce
Que dans sa presse
La clé, par terre, a glissé
Et du sang l’a éclaboussée.
Elle la lava avec du savon,
L’essuya avec un chiffon :
Le sang ne s’enlevait pas.
Cette clé avait été
Ensorcelée par une méchante fée
N’est-ce pas ?
Quand Barbe Bleue rentra au château,
Son épouse lui rendit le trousseau.
-«Sur cette clé, pourquoi y a-t-il du sang?»
-«Je l’ignore.» dit-elle, en blêmissant.
-«Pardieu ! Vous avez voulu entrer
Dans mon cabinet secret ! »
Comme il avait un cœur de glace,
Il ajouta : «Vous prendrez place
Auprès des dames inertes
Que vous avez découvertes. »
Elle lui demanda pardon en pleurant.
-« Il vous faut mourir maintenant. »
-« Donnez-moi un instant
Pour prier Dieu. »
-«Je vous le donne.» dit Barbe Bleue.
Elle s’isola
Et appela
Sa sœur :
-«Diane, monte un quart d’heure
En haut de la tour
Et regarde alentour
Si Anton et Yves,
Nos frères, arrivent.
Ils m’avaient juré
De venir dans la soirée
Prendre le thé.
Fais leur signe de se hâter.»
Une minute après,
La désespérée
Criait de nouveau : « Diane,
Ma sœur Diane,
Ne vois-tu rien? »
-« Je ne vois rien
Que le soleil qui poudroie
Et l’herbe qui verdoie.»
Barbe Bleue tendit alors son poignard
Et hurla : «Viens ici sans retard !»
-« Encore un moment. »
Et tout doucement :
-«Diane, ne vois-tu rien ?»
-«Si, une grosse poussière
Qui vient. »
-« Ce sont nos frères ? »
-« Hélas non.
C’est un troupeau de moutons.»
-« Arrives ici dans la seconde,
Criait Barbe Bleue en colère,
On n’a pas idée, mille tonnerres
De faire ainsi languir le monde ! »
-« Encore un instant. »
Puis elle se mit à redire :
-«Diane, ne vois-tu rien venir ?»
-«Je vois deux cavaliers trottant
Vers nous. »
-« Loues
Dieu : ce sont nos frères ! »
-« Je vais leur faire
Signe de se hâter. »
La jeune femme alla se jeter
Aux pieds de son mari,
Toute éplorée, marrie.
-«Ça ne sert à rien, dit Barbe Bleue,
Tu vas mourir. » La tirant
Par les cheveux
Et s’emparant
De son poignard
Cet homme barbare,
S’apprêtait à lui couper la tête.
Alors, sa jeune femme lui répète :
-«Encore un moment. Je prie Dieu…»
-«Non, non. Recommande-toi à Lui,
Et viens !», dit Barbe-Bleue, furieux.
Mais à l’instant où
Il levait le bras
Pour porter le fatal coup,
On frappa à l’huis.
Barbe Bleue aussitôt s’arrêta,
Alla ouvrir et vit entrer
Deux cavaliers prêts
A saisir leurs épées
Afin de l’étriper.
Alors, il reconnut ses beaux-frères
Yves et Anton
L’un mousquetaire, l’autre dragon.
Les deux frères
Lui passèrent
Leur épée au travers du corps.
Et il tomba à leurs pieds, mort.
Comme Barbe Bleue n’était pas
Papa,
Il n’y eut aucun partage.
Sa femme reçut tout l’héritage !