Autour de la sortie ce mois-ci du premier album de Milligram Retreat, Falun Gong (critique à venir prochainement), nous nous sommes entretenus avec le fondateur et tête dirigeante de l’étiquette Enfant Terrible, Martijn Van Gessel. Brève incursion dans l’univers de la musique d’avant-garde made in Holland.
Nous ne recevons que très peu de musique hollandaise, ici au Canada. Comment se porte votre scène locale ? L’opposition entre productions commerciales et indépendantes est-elle très marquée ?
Je suis actif dans le milieu de la musique depuis plusieurs années maintenant et j’ai collaboré à de nombreux projets, incluant mes propres productions. Évidemment, les univers musicaux que l’on pourrait qualifier de « commerciaux » et d’« indépendants » existent ici, mais je préfère ne pas utiliser ces termes… tout simplement parce ce que je ne m’intéresse généralement pas à ce que l’on nomme « l’industrie musicale » – que celle-ci soit considérée comme commerciale ou indépendante, d’ailleurs.
Selon moi, il y a très peu de personnalités ou d’événements réellement intéressants ici, et les publications musicales n’offrent que très peu d’espace à la musique qui m’interpelle.
D’un autre côté, certaines personnes, tout en travaillant de jour dans un emploi « normal », font partie d’un groupe, mettent sur pied une petite étiquette de disques, ou organisent de temps en temps un concert… comme moi. C’est un monde parallèle, particulier, dont la musique est totalement absente des médias traditionnels et grand public. L’industrie commerciale ignore-t-elle cette musique, ne veut-elle pas en entendre parler, ou bien est-elle incapable de l’écouter et d’en découvrir tous les talents ?
À mon avis, il y a un nombre très restreint de gens qui, avec un goût sûr et de l’audace, préfèrent travailler à faire connaître la musique plutôt que d’effectuer leur propre publicité personnelle.
Enfant Terrible se spécialise dans la découverte de nouveaux talents via la publication de compilations. Comment procédez-vous aux choix de vos artistes ?
Vous demandez au chef le secret de ses recettes ! Depuis aussi longtemps que je me souvienne, je suis à la recherché de nouveaux sons. Parallèlement, j’écris sur la musique depuis plusieurs années. Je suis évidemment tombé sur des groupes qui selon moi avaient un grand potentiel. C’est ainsi que j’ai commencé, et c’est toujours le principal moteur de mon travail avec Enfant Terrible : je découvre de la musique que j’aime, et j’ai ensuite envie de donner un tremplin à ces artistes.
L’année dernière, j’ai également commencé à élargir les horizons de mes activités en abordant d’autres domaines : les arts visuels, une émission de radio (Radio Resistencia) en collaboration avec Andreas (Lesbian Mouseclicks) et Peter (Sololust), avec qui j’ai aussi fondé un magazine (Traces – aussi avec Johan de Seja).
J’ai ainsi encore davantage de moyens de promouvoir la musique que je découvre. Enfant Terrible n’est plus « seulement » une étiquette de disques, mais une véritable plateforme et une source d’information musicale.
Votre étiquette se spécialise non seulement dans la musique underground, mais elle publie également exclusivement sur vinyle. Pourquoi le choix de ce support, et est-ce viable économiquement ?
Pour moi, un CD ne représente rien. Si la musique digitale – le téléchargement de MP3 - est un « non-produit » absolu, le CD n’en est pas loin…Je n’ai jamais envisagé de produire de la musique sur CD. Je collectionne les vinyles depuis très longtemps.
J’ai n’ai réalisé qu’un seul CD, sûrement pour me convaincre que le produit pouvait se révéler satisfaisant si on en prenait vraiment soin. Et même si j’ai beaucoup d’affection pour la compilation en question (Radio Resistencia), je trouve le résultat mitigé…. Le format n’était définitivement pas le bon, un double vinyle aurait été meilleur. Mais on apprend toujours de ses erreurs, et on essaie de s’améliorer.
Je ne produis pas seulement des albums sur vinyle, mais des vinyles en éditions limitées, et même très limitées ! Certains labels font des réimpressions d’éditions soi-disant limitées lorsqu’un de leurs titres est épuisé, ce que nous ne faisons jamais : quand un album d’Enfant Terrible devient épuisé, c’est pour toujours.
Notre « réseau » de distribution à travers les magasins de disques indépendants rend également nos albums difficiles à trouver pour le commun des mortels. Ces « difficultés » sont voulues : je souhaite que les gens s’impliquent davantage dans l’achat de leur musique. Ces disques ne sont pas trouvables partout, ils s’adressent à un public spécifique. Vous devez être au courant, être un illuminati. Mais évidemment, j’essaie de promouvoir au maximum mes artistes. Tout le monde peut s’impliquer, il ne s’agit pas d’une secte fermée !
Si je n’ai aucunement l’intention de m’adresser à un public de consommation courante, je m’intéresse énormément à MON public, les gens qui me suivent, de véritables enthousiastes. Je suis également heureux d’avoir le support de ce réseau de boutiques indépendantes qui m’aident à pouvoir procurer ma musique aux bonnes personnes.
Quant à être économiquement viable…évidemment non, mais ce n’est pas non plus le but d’Enfant Terrible. Je souhaite créer de la valeur culturelle et non des valeurs marchandes. C’est pourquoi j’ai mon emploi de jour, tout en conservant Enfant Terrible comme « passe-temps » à temps plein…
Il est indéniable que les musiques électroniques minimales et DIY du début des années 1980 sont présentement à la mode. En plus des nombreuses rééditions des artistes de l’époque, certains groupes actuels s’inspirent de ce style au point d’adopter un son quasi identique… qu’avez-vous à dire sur cette tendance ?
Pour être honnête, je crois qu’une bonne partie de cette musique des années 1980 actuellement rééditée présente un intérêt plutôt limité… C’est d’ailleurs pourquoi j’ai choisi, malgré la demande d’un certain public, de ne pas vendre toutes ces rééditions dans ma boutique web. Je sélectionne plutôt certains disques particuliers, intéressants à cause de la musique elle-même ou parce qu’ils possèdent une vraie valeur de document ou de collection.
Selon moi chaque disque devrait avoir cette « valeur culturelle » – et j’insiste là-dessus parce que c’est une part fondamentale de mon travail. Enfant Terrible se concentre maintenant sur des artistes contemporains qui osent réellement, et non plus sur la « zone de confort » que peut représenter les sons électro-minimaux « classiques ».
Pour les pionniers, la question du genre ne se posait pas : ils créaient de la musique simple, avec des moyens de production limités. Les véritables paysages sonores m’intéressent plus que les chansons accrocheuses destinées aux planchers de danse.
Les musiciens qui ne font que copier vulgairement les sons typiques des 80’s n’ont aucun intérêt pour moi. Je recherche plutôt des groupes qui poursuivent la tradition des pionniers de l’époque tout en développant leur propre langage personnel… d’ailleurs très souvent inspiré par le monde d’aujourd’hui et par les moyens actuels de penser et de produire la musique.
Pour terminer, que nous réserve Enfant Terrible pour 2011 ?
Nous allons clore notre collaboration avec Trumpett en effectuant une dernière réédition de musique des années 1980. Enfant20 sera un second disque de Doxa Sinistra, la réédition sur vinyle de leur premier album « Via Del Latte ». Enfant Terrible aura ainsi réédité toutes les archives de ce label hollandais des années 1980.
Peut-être de nouvelles rééditions (par exemple dans la lignée des séries Spleen et Radionome) verront-elles le jour, mais je compte me concentrer davantage sur la production d’artistes contemporains et sur la découverte de nouveaux talents, ici en Hollande. Je souhaiterai surtout continuer d’élargir le « spectre sonore » d’Enfant Terrible – aussi bien dans l’expérimental que dans les sons plus pop. Au-delà de la musique à proprement parler, je planifie également des collaborations visuelles avec les artistes Renée Van Trier et Kelly Correll Brown.
En accompagnement musical à votre lecture, une chanson tirée du tout dernier 7″ édité par Enfant Terrible (Eindplaneet, 2010), un remix entraînant d’une piste de Staatseinde que nous vous avions déjà présentée ici.
statremix
Staaseinde – Ruimtevaart Vooruit (Rude 66 Remix) [4:58]