Chokebore - Days of Something (Story & Interview)

Publié le 23 mars 2011 par Hartzine


Comme le temps passe vite. Dans sa fuite s’érode les remontrances du passé, le grimoire de nos actes. Les contours s’effacent d’eux-mêmes quand notre mémoire floute les visages rencontrés en toute hâte. C’était un jour attendu depuis quelques mois. Un 19 février pour être précis. Presque un an. Chokebore remontait sur scène pour la première fois depuis 2003. Sept ans que l’on y croyait plus, que le deuil de notre rage d’antan s’escrimait sur une vielle collection de disques aux pochettes racornies. Peu avant ce concert mémorable, en guise d’amicale accolade (lire le report), Troy, John et Omar nous accordaient de précieuses minutes de leur temps, histoire de bavarder sur leur compte en évoquant notamment leur avenir. D’un seul tenant, les trois étant entassés dans un vieux canapé défoncé d’une des loges de la Maroquinerie, la camera filmait des visages rassérénés, gratifiant chacune de nos questions d’un regard amusé ou d’une moue interrogatrice. Loin d’être décontenancé, Troy nous expliquait que si lui avait conservé cette simili habitude des interviews, les autres avaient quasiment tout lâché depuis des lustres. Le temps de se réhabituer, d’autant que nous étions que les troisièmes à les travailler au corps, une idée bien précise en tête : un sixième LP de Chokebore était-il en gestation ? Avant de céder à la transcription littéraire d’une vidéo tristement défectueuse, retour sur une aventure entamée en plein cœur de l’océan pacifique, lorsque le monde ne jurait plus alors que par Seattle.

“I’m jumping for my life and i hope i make the landing”

Le prisme est celui d’un regard neuf, adolescent. Comme souvent. Le moment où la musique se révèle à nous tout en nous révélant à la vie. En franchissant le pas de l’enfantillage à la futilité, des culottes courtes à l’idolâtrie, il s’avère malaisé de prendre la juste mesure des choses. Et si certains groupes d’alors occupent toujours une place de choix dans mon bac à vinyles, il n’y a pas trente-six explications à cette longévité : soit je reste cet ado primaire en quête d’identification, soit ces groupes jouent d’une musique à l’aura intemporelle. A en croire les on dit et ce concert surpeuplé du 19 février 2010, il semble que je ne sois pas cette tâche de vin noiraude sur une nappe immaculée. Qu’il s’agisse de Pavement, des Pixies, de Sonic Youth, de Mogwai ou Chokebore, quintette explosif d’une jeunesse nimbée d’électricité, point d’irrationnel, mais un constat d’une simplicité emportant l’adhésion : malgré ces années qui passent par dizaine, leurs disques respectifs n’ont pas pris l’once d’une ride. Chokebore, groupe des plus modestes parmi ces cinq là, par la prétention, le public et les ventes, a même vu son public s’élargir aux confins de leur ambition. Eux qui cultivaient déjà un rapport très personnel à leur public - quasi débarrassé d’intermédiaires - et à l’industrie du disque - ne signant de contrats que pour une kyrielle de labels indépendant, Amphétamine Records, Bomba records et Pale Blue en tête - se trouvent même conforté par l’évolution actuelle de la distribution musicale : internet sied à merveille à l’empathie d’un Troy pour son public, quand leur visibilité ne cesse de s’agrandir sur la toile. Reste l’épineux problème de la vente de disques. Quand d’autres manifestent leur intérêt pour le support digital, voir pour la gratuité, eux ont un rapport plus complexe à l’objet physique, préférant même le vendre eux-même à la fin de chacun de leur concert. En atteste la compilation de raretés sorties à l’occasion de la récente tournée. Celle-ci, par le panachage de morceaux en version démo, live ou acoustique, suggère avec une certaine acuité la brève mais consistante discographie du groupe : six albums, dont un live, et trois EP, pour peu ou prou dix années d’activisme.

Troy Bruno Von Balthazar, les frangins James et Jonathan Kroll et Johnee Kop grandissent et vilipendent leurs premières guitares en sillonnant au début des années quatre-vingt dix les bouges d’Honolulu sous le nom de Dana Lynn, actrice porno du moment. Pourtant le soleil hawaïen n’effleure que de son ombre saumâtre et étouffante les sombres ritournelles dardées de distorsions du quatuor qui devient dès 1992, et son déménagement à Los Angeles, Chokebore. Signés, sur la foi d’une cassette démo, par Amphetamine Reptile Records, influent label indépendant du moment (Helmet, Melvins), beaucoup s’empressent de les assimiler au grunge, alors sur toutes les bouches. Les Nirvana de Kurt Cobain, dans le feu de la tournée In Utero (Geffen, 1993), les convient afin d’assurer quelques unes de leur première partie et le tour est salement joué. Dès le 7″ Nobody / Throats to Hit et leur premier album Motioneless (1993, Amphetamine Reptile records), les critiques s’emballent : à les lire Chokebore ne fait que s’inviter au bal des faussaires non encore démasqués - Bush, Tripping Daisy… - histoire de s’octroyer drogues, célébrité et pognon sur le dos d’une étoile malade, bientôt suicidée. Bien qu’également branché sur courant alternatif, c’est faire bien peu de cas d’un groupe n’ayant que peu à voir musicalement avec le son ankylosé made in Seattle. Là où le déluge homogène de guitares prévaut, celles de Chokebore oscillent constamment entre intensité et fragilité, avec comme double dénominateur commun, parcimonie et instantanéité. Motioneless délivre quatorze morceaux d’une singulière cohérence où la basse de James s’arroge, sur fond de rythmiques échevelées, la responsabilité d’une puissance mélodique vertement tancée par l’infinie tristesse émanant du chant d’un Troy, plus écorché que jamais. Déjà, en effet, se dessine au firmament de leur aura naissante comme un nuage noir, à tel point que l’on parle de sadcore, fumeuse classification dont on les désigne d’emblée chef de file. Anything Near Water (1995) puis A Taste for Bitters (1996), tout deux parus sur Amphetamine Reptile Records, enfoncent le clou d’un rock fiévreux, plombé de saturations et transpercé d’une mélancolie à la beauté poisseuse. Telle une veine entaillée par excès de désarroi, l’âme du groupe s’éprend violemment d’un public d’initiés, devenu indéfectible. Tant par leurs structures iconoclastes que par leur portée émotionnelle, des morceaux comme Foreign Devils on the Silk Road, Lemonade, Wash (You Glow), It Could Ruin Your Day, Narrow et surtout Days Of Nothing s’arrogent une part d’intemporel au panthéon des nineties.

Deux ans plus tard, Black Black (Boomba Rec, 1998) marque une rupture. Presque une cassure. La fulgurance des guitares s’étiole, le son de celles-ci s’épaissit quand les rythmiques - assurées sur cet album par Mike Featherson - deviennent plus lentes, habitées d’une affliction dénuée de rage. Mis à part quelques soubresauts dont l’immodérée Alaska, la voix de Troy devient la clé de voûte d’un univers peuplé d’une déshérence amoureuse renversante. Valentine, Every Move a Picture, Where is the Assassin ? ou même la reprise de Steve Wonder, You Are the Sunshine of My Life laissent percevoir à quel point les certitudes pétries d’électricité d’alors ne sont plus d’actualité. Chose que confirme It’s a Miracle (Pale Blue), véritable bréviaire testamentaire sorti quatre années plus tard et faisant suite à une série d’interminables tournées à travers le monde. Ciao L A et son refrain I’m looking back against the tour of Black Black résonnent telle une volonté d’écourter définitivement ce qui avait fait de Chokebore un groupe pas comme les autres, vivant sur scène à chaque fois sa dernière heure. La répétition, l’ennui, la crainte de n’être plus soi s’entrechoquent dans un remugle de sentiments flirtant toujours autant avec un mal être abyssal, source intarissable de mélopées au magnétisme confondant. Ainsi, Geneva, Police ou Person you Chose enterrent de leur splendeur cantabile les fastes délétères des débuts, insufflant une quiétude seulement dénaturée par les déflagrations abrasives du conclusif She Flew Alone, ouvertement tourné vers un passé dont ils veulent se délester afin de faire, chacun dans leur coin (du monde), un bout de chemin. Un passé, peu après canonisé par l’album live A Part from Life (Pale Blue, 2003), enregistré le 12 août 2001, lors d’un passage au festival La Route du Rock à Saint-Malo.

Sur la pochette de Motioneless, on voit Troy sauter inconsidérément en arrière, guitare en mains. Encore môme, je l’ai approché lors d’un concert à Angers, au Chabada, pour qu’il dédicace une photocopie que j’avais faite du cliché. Souriant, il griffonna dans la marge ces quelques mots, I’m jumping for my life and i hope i make the landing, sans se douter que celui du groupe, d’atterrissage, serait son propre tremplin. Deux albums en solitaire plus loin (s/t, 2006 & How to Live on Nothing, 2010) et Chokebore renait de ses cendres, se parant d’un avenir né d’un désir d’à nouveau en découdre. Les bacs à vinyles débordent de come-back aux relents âcres de resucées à buts lucratifs. Ces quatre là en sont incapables. Il y a donc fort à parier que ces neuf années étaient un moindre mal pour qui reste encore cloué à ces murs de décibels. Voici donc le fruit d’une rencontre avec le groupe. C’était il y a tout juste un an. Depuis rien à encore bougé. A moins que…

Troy Von Balthazar sera en concert le 15 avril prochain à la Machine du Moulin Rouge. Hartzine, en partenariat avec Super !, vous font gagner trois places par ici. Par ailleurs, Magali Boyer exposera ses clichés consacrés à Troy Von Balthazar du mardi 29 mars au samedi 23 avril à la Flaq à Paris. Les détails, par là.

L’interview - 19 février 2010, 18h30, loges de la Maroquinerie, Paris.


Vous veniez tous de formations punk hawaïennes avant de former Chokebore. Votre volonté de vous préserver de l’industrie du disque et votre attrait toujours d’actualité pour les réseaux indépendants vient-elle de ce passé ? En quelque sorte êtes-vous encore punk dans l’âme et ce malgré votre évolution musicale ?

John (guitariste) : J’ai toujours été intéressé par les groupes underground et indépendants quand j’étais ado, c’était surtout les groupes qui m’intéressaient. Je ne faisais pas vraiment attention aux groupes mainstream à vrai dire. J’imagine que ça a été une continuité logique. (A Balthazar) Toi aussi tu aimais les groupes underground, comme nous tous.

En quelque sorte êtes-vous encore punk dans l’âme ?

Troy (chanteur / guitariste) : Je ne suis pas punk. Pas punk rock.

Je parlais plutôt de la “philosophie” punk.

Omar (batteur) : Oui oui, définitivement.

T : Je ne sais pas. J’ai été dans cette “scène”. Mais ce sont juste des musiciens. Des musiciens indie. Je voulais juste faire de la musique, de n’importe quelle “forme”. Et nous avons travaillé avec ces super labels comme Amphetamine Reptile, et nous avons beaucoup appris avec eux. Nous avons grandi avec cette scène indie aux Etats-Unis.

Donc vous vous considérez plus comme des musiciens indie ?

T : Je me considère juste comme un musicien, et j’essaie d’en devenir un meilleur tous les jours.

Quelles musiques, quels morceaux ou quelles personnalités vous ont décidés à croire en votre musique ? En d’autres termes, quelles sont vos influences profondes ?

T : Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, j’avais un colocataire. Je jouais et je chantais dans ma chambre, et lui et sa copine sont venus frapper a ma porte pour me dire “Hey Troy, ça sonne bien“. Je ne savais pas qu’ils écoutaient, et je me suis senti très très fier. Vraiment content que ça sonne bien. Et c’est à ce moment que je me suis dit “Ok je peux le faire“. Ils l’ont juste dit comme ça mais c’est arrivé jusqu’à ma tête.

John : J’ai beaucoup été influencé, peut-être pas toujours en terme de son. Mais par plein de genres de musique. Et pour revenir à la question précédente, en tant qu’ado j’ai été très influencé par l’idée que tu n’avais pas besoin d’être un gros groupe de rock. J’écoutais de la musique faite par les ados, les magazines étaient faits par des ados, etc. Vous n’aviez pas à attendre de devenir un adulte pour faire des choses. Vous pouviez faire ce que vous vouliez. Créer votre propre musique, votre propre “scène”.

Aussi parce que vous étiez entourés de musiciens?

J : Oui, il y avait tellement de LP sortis par de tout jeunes groupes à cette époque. J’étais très inspiré par la structure de tout ce truc. Le réseau de tous ces gens qui n’attendent pas que quelqu’un leur dise qu’ils devraient faire un groupe. Ils le font et c’est tout.

Votre musique, si elle a évolué dans le temps, s’éloignant peu à peu des distorsions, a d’emblée été lourde, puissamment mélodique, le chant oscillant entre sourde mélancolie et énergie désespérée… Que vouliez-vous faire passer par-là ? Quelle était votre volonté ?

Omar : La beauté.

J : Nous n’avions pas forcement de “plan”.

T : Pas du tout de plan. Nous essayons juste d’écrire une musique intéressante, avec ce qu’il y a dans nos esprit à ce moment-là. Je crois que nous essayons de faire du bon son. Encore que je ne sais pas toujours comment le faire.

Y avait-il des émotions plus dominantes que d’autres dans votre carrière ?

T : Oui, la mélancolie plus que la joie dans les accords majeurs de nos titres. Nous étions beaucoup plus intéressés par les accords mineurs dans les aspects sombres. C’était très beau et ça marchait bien avec notre musique, et ce qu’elle est devenue. Nous n’avions pas vraiment de grandes idées, ou de plan.

HZ : Quand je parle d’intention, il s’agit plus du moment de l’écriture d’une chanson…

T : Non il n’y avait rien, jamais, à aucun moment et pour aucune chanson nous ne savions dans quelle direction nous allions, ou quel genre de musique c’était, ou ce qu’on faisait. On navigue à vue.


Rétrospectivement, quel album vous parait le plus abouti… et pourquoi ce choix ?

Troy : Pour moi, je dirais A Taste For Bitter.

John : Je ne crois pas que je puisse en choisir un. J’aime prendre des choses dans chaque album. Quand nous préparons une setlist, la plupart du temps je ne me rappelle pas de quel album est cette chanson ou cette autre. Je me rappelle de ce qui se passait dans ces périodes-là. Parfois il faut que je réfléchisse pendant une bonne minute pour me rappeler de quel album est une chanson.

T : J’ai aussi dit A Taste For Bitter parce que je me rappelle son enregistrement, qui était intéressant et fun. Je n’ai jamais écouté l’album à vrai dire. Nous l’avons enregistré en France, à Angers, c’était la première fois en France. Et c’était très très amusant à enregistrer.

C’était justement notre prochaine question, que pouvez-vous nous dire de Ian Burgess, malheureusement décédé il y a peu ?

Omar : Nous n’avons pas travaillé avec lui. Nous étions dans le studio Black Box, mais nous avons travaillé avec Peter Deimel, qui était son ingénieur. Mais nous n’avons pas travaillé avec Ian. Mais c’est bien triste qu’il soit décédé.

T : Il est venu pour deux/trois sessions, et oui c’est bien triste.

Vos concerts étaient comme la marque de fabrique de Chokebore : intimes, honnêtes et agressifs… Mais c’est aussi leur accumulation qui a fait naître votre volonté de splitter… Qu’attendez-vous de cette reformation ? Uniquement retrouver la scène ? Ou au contraire renouer avec le public pour se mettre ensuite à composer et sortir un nouvel album ?

T : Je crois que nous allons y aller plus simplement cette fois. C’est sûr que quand on fait une centaine de concerts, sans faire de pause, cela peut nous faire du mal. Donc on va faire ça un peu plus intelligemment, faire quelques shows, puis autre chose… Essayez de planifier tout ça un peu mieux. Ce sera plus simple pour tout le monde. Et ça devrait être vraiment bien.

J : Oui, nous avons tous d’autres projets sur lesquels nous travaillons, c’est bien de pouvoir faire plusieurs choses.

T : Et quand on a commencé cette tournée il y a cinq jours, nous n’étions pas certains de nous amuser. Il y a cinq jours. Mais après ces quelques concerts, on s’est bien senti, et c’est sûr qu’on a tous envie de continuer. Mais c’est vrai que la semaine dernière, on se disait encore, on verra bien, si ça se trouve… Mais c’est super. Mais nous n’allons pas faire de promesses. Nous allons continuer comme nous en avons envie.

J : Ils ne nous ont pas demandé de faire des promesses !

T : Je sais mais je ne veux pas dire que nous allons faire d’autres choses. Je ne veux rien signer.

J : Non bien sûr, mais c’est toujours ouvert. Et oui, ça a été super !

Si retour durable il y a… en quoi les expériences vécues par chacun d’entre-vous ont-elles transformé la musique de Chokebore ?

Troy : Non, pour moi ça n’influence pas la musique de Chokebore. Je pense que je suis un meilleur guitariste maintenant. Et je crois que nous sommes tous de meilleurs musiciens. Peut-être parce qu’on a pu se reposer un peu. John a fait son projet de guitare. Je sens que nous sommes de meilleurs musiciens. Quand vous jouez de la musique, cela dépend vraiment de comment vous êtes concentré dessus. Mais je ne pense pas que nos projets solo influencent Chokebore. Chokebore sonne Chokebore. C’est là, vous voyez. Et les autres choses sont ailleurs. C’est différent, complètement différent. Et c’est bien.

Troy, peux-tu nous expliquer les raisons qui t’ont poussé à cette solitude ?

T : Parce que j’ai entendu différentes musiques dans ma tête, je ne voulais plus entendre de distorsion. Je voulais entendre de petites chansons acoustiques. Plus de choses lo-fi. Pour un moment. J’étais malade des distorsions. Maintenant je les apprécie à nouveau. Mais j’avais besoin de faire une petite pause. Après quatorze années de guitare distordue, c’était assez.


Troy, en concert, sous ton propre nom, tu chantais pas mal de morceaux de Chokebore. Le groupe n’est jamais mort en toi ? Ou tu t’es dit que c’était une page définitivement tournée ?

T : Les gars ont commencé à me manquer. Le groupe. Et j’ai écouté quelques chansons et elles n’étaient pas si mal. Parce que je n’ai jamais écouté la musique de Chokebore jusqu’à il y a peu. De petites choses ont commencé a grandir dans mon esprit et elles ont pris de l’importance.

Chokebore est un groupe apatride. Vous avez sillonné une partie des États-Unis pour atterrir en France puis en Allemagne. En quoi ce déracinement inspire-t-il vos choix ? Vos projets (Troy tu écris, John tu peins) ? Votre musique ?

J : J’ai déménagé avec mon frère tout le temps depuis notre enfance. J’ai l’impression que nous avons déménagé depuis toujours. Alors je ne sais même pas comment c’est de rester à un endroit !

T : Pour moi, il est clair que ça influence totalement ma musique. Tous les mots et la musique viennent du fait que j’ai bougé d’endroits en endroits, et que j’ai vu beaucoup de cultures et de personnes différentes. Oui ça a été très important. J’ai été sur la route pendant tellement longtemps. Quand Chokebore s’est arrêté, j’ai rendu mon appartement, et j’ai été sur la route tout ce temps. Je n’ai plus eu d’appart jusqu’à il y a deux mois. Pendant six ans, j’ai dormi sur des canapés comme celui-là. En fait celui-ci est bien mieux que beaucoup d’autres canapés que j’ai pu tester !

Y a-t-il eu un moment dans ces voyages, un lieu ou des gens que tu as rencontrés qui ont guidé ton processus créatif ?

T : Oui, ça “gèle”, ça fige la création. D’être toujours entouré de gens. D’être toujours dans un nouvel appart, l’appart de quelqu’un. C’est très difficile d’écrire dans ces conditions. C’est presque impossible. Alors, quand j’avais une seconde tout seul, je me précipitais pour écrire quelque chose. C’est vrai que ça a complètement changé la manière dont j’écris. Au lieu d’avoir toute la journée pour écrire, j’avais juste dix minutes quand ils allaient faire des courses ! Maintenant j’écris très vite !

Internet n’existait pas à vos débuts. Comment jugez-vous aujourd’hui son influence ?

Omar : Cela a détruit l’industrie du disque. Ça a enlevé de sa valeur à la musique.

J : Il y a du bon et du mauvais.

O : Surtout du mauvais ! La musique n’a plus de valeur !

T : Non, non ! Ça a changé, c’est une période de changement…

J : A l’origine, quand nous partions en tournée, tu venais dans la voiture avec ta carte routière, tu t’asseyais là et tu essayais de voir comment faire. Tu n’avais pas un ordinateur qui te parlais toute la journée ! On passait vachement plus de temps à étudier ces cartes. Maintenant ça n’est plus nécessaire.

Et qu’en est-il de l’influence sur la musique ? Quel est votre avis ?

O : C’est devenu bien plus difficile de vendre un CD. Les gens pensent que la musique devrait être gratuite et livrée à leur porte sur un plateau en argent quand ils en ont envie. L’art de vendre des disques a complètement changé. Maintenant vous avez les sonneries de portable, les B.O. de films, les musiques de toilettes (?) c’est juste dur de faire un disque. C’est une forme d’art morte.

T : Moi, je pense que c’est un changement nécessaire. La manière dont se comportait l’industrie du disque était vraiment mauvaise. Maintenant c’est une transition et je pense qu’ils vont trouver un moyen de continuer, sûrement d’une autre manière. Et je pense qu’Internet a amené bon nombre de plus “petits” musiciens, le moyen de faire de la musique, et de sortir de la musique, de faire des tournées. Et être plus indépendants des labels. J’ai beaucoup tourné l’année dernière, sans label.

J : Oui, il y a du bon et du mauvais.

T : Mais oui c’est vrai que c’est bien plus dur de signer un contrat avec une maison de disques. Mais c’est une transition. On trouvera d’autres formes.

Quelques mots sur vos retrouvailles avec le public français ?

T : J’ai une jambe de bois (en français, nldr) et oui merci pour votre soutien ! Merci de ne pas être morts !

Audio

01. Coat
02. Never
03. Wash (you glow)
04. Cleaner
05. Days Of Nothing (full band winter version)
06. She flew alone

Vidéo

Discographie

Motionless (Amphetamine Reptile Records, 1993)
Anything Near Water (Amphetamine Reptile Records, 1995)
A Taste for Bitters (Amphetamine Reptile Records, 1996)
Black Black (Boomba Rec, 1998)
It’s a Miracle (Pale Blue, 2002)
A Part from Life (Pale Blue, 2003)