Grandeur et décadence

Publié le 23 mars 2011 par Ladytelephagy

Difficile de savoir sur quel pied danser avec Malenfant, une mini-série québécoise en quatre épisodes qui s'est achevée jeudi dernier et qui se base sur la vie de Raymond Malenfant, l'un des entrepreuneurs les plus médiatiques de la seconde moitié du XXe siècle.
Mais avant de vous parler de la série elle-même, laissez-moi vous parler d'abord de l'étonnante expérience que cela peut être que de regarder une série à vocation historique québécoise. Il n'y a pas, ou disons presque pas, de barrière de la langue. Du coup on peut être conduits à penser qu'on comprendra tout ; c'est une erreur qu'il ne faut pas faire.
Lorsque j'avais regardé la première saison de Mirador, à la fin de l'année dernière (et maintenant j'en ai pour plusieurs mois à attendre la deuxième saison, d'ailleurs...), je n'avais pas autant été frappée par ce phénomène. Tout simplement parce que les différences culturelles qui pouvaient exister étaient minimes, et n'avaient pas vraiment d'incidence sur l'intrigue. Mais dans le cas présent, j'ai réalisé, pour la première fois, que regarder une série francophone n'impliquait pas de la comprendre réellement.
On a tellement l'habitude d'assimiler la différence culturelle à la langue que quand on regarde une série en français, on s'attend à ne rencontrer aucun obstacle. Pourtant, j'ai dû me rendre à l'évidence : Raymond Malenfant a certainement fait bien du raffût en son temps, mais je n'avais pas le moindre embryon d'idée de qui il était en lançant le pilote. C'était à la fois excitant, pour l'aspect découverte, et effrayant, parce que je n'avais aucun outil pour prendre du recul sur ce biopic, finalement. Mais je me suis lancée, décidant d'aller me documenter une fois le visionnage de la série achevé, découvrant l'histoire telle qu'on avait voulu me la livrer, quitte à la nuancer ensuite avec des éléments non-fictionnels que j'irais chercher. C'était un pari comme un autre ; c'est peut-être ça aussi que je cherche quand je lance le pilote d'une série étrangère, allez savoir.

Alors Malenfant, finalement, de quoi ça parle ? Si comme moi vous ne connaissez pas le personnage, la série se charge d'en dresser un portrait plus que détaillé. Raymond Malenfant est un homme ambitieux, un self-made man qui part du bas de l'échelle pour bâtir un empire immobilier. Dévoré par son envie de réussir, il va connaître la richesse et le pouvoir qu'apporte cet argent... mais aussi ensuite tout perdre. Loin d'être un sujet pour faire rêver sur les miracles qu'on peut accomplir quand on se donne du mal et qu'on travaille dur, l'histoire de Raymond Malenfant est plutôt une fable sur l'ambition et la folie des grandeurs, au bout du compte.
C'est avec un luxe infini de détails que la série s'attache à montrer son personnages avec un maximum de relief. Ambitieux, oui, mais pas mauvais homme. Et finalement, plus qu'un bête biopic qui s'intéresserait à retranscrire sa trajectoire, Malenfant parle de son personnage principal presque avec admiration, comme si, en écrivant, l'auteur avait réussi à approcher toute l'humanité de la personne, avec ses qualités comme ses défauts, et s'était attaché à lui ; la tendresse n'empêche pas la critique, parfois acerbe, de l'ambition, l'orgueil et l'obstination de l'entrepreneur, mais permet de ne jamais oublier l'homme derrière.
A la lecture de la biographie de Raymond Malenfant (comme par exemple, pour commencer, du côté de Wikipedia), toutefois, un bémol surgit : la série indique être "librement adaptée" de la vie de l'homme d'affaires, elle est en fait bien souvent dans la totale réécriture. Romançant un peu plus qu'à son tour, Malenfant pose la question : à quel point une série sur un personnage ayant vraiment existé a-t-elle le droit de prendre des libertés ? Si je n'ai jamais été partisane de l'exactitude documentaire pour les séries historiques, il faut tout de même admettre que changer certains éléments du tout au tout, au-delà de la simple volonté de dramatisation, est un peu perturbante. Par exemple, il me semble tout-à-fait acceptable de prétendre que Colette était Madame Malenfant, alors qu'en réalité elle a toujours conservé son nom de jeune fille ; ça ne prête pas à conséquence, c'est typiquement un élément qui permet simplement de servir le récit, et notamment de renforcer le lien extrêmement puissant qui lie les deux personnages, l'attachement sans borne de Malenfant à sa compagne faisant partie des tours les plus touchants que peuvent prendre les explorations du personnage. Par contre, changer la chronologie, voire même zapper sciemment une bonne décennie de la vie de la famille Malenfant (les années 90, comme passées en avance rapide par la toute fin du dernier épisode, alors que c'était au moins aussi intéressant, mais forcément moins glamour), donne à penser que certaines questions sont restées taboues, et qu'on a préféré taire les zones d'ombre plutôt que de tenter de les éclairer un peu. Ca refroidit un peu, ce petit manque de courage.
Mais il n'empêche. Servie par une bonne écriture, une grande fluidité dans le passage d'une époque à une autre (plus que tout sensible dans le pilote), et un cast impeccable, au premier rang desquels les interprètes du couple Malenfant, la série éponyme a tout de même beaucoup de mérite par elle-même, celle de montrer un personnage qui n'est ni un monstre, ni une victime, juste un homme quelque part entre les deux, qui a tout construit par sa seule volonté de se sortir de la misère, et dont au final le mental d'acier a causé la perte, mais qui reste un être humain touchant de sincérité (la dernière petite scène tendant à nous laisser conserver cette image). C'était donc une bonne mini-série que Malenfant, et au diable l'exactitude historique !
Et pour ceux qui... devinez quoi ? Pas de fiche.