Et si on tirait au sort les sénateurs ?
Manuel Domergue
Alternatives Economiques Poche n° 049 - avril 2011
Le Sénat actuel doit changer, car il mérite la plupart des critiques qui lui sont adressées. De par son mode de suffrage (universel indirect par des grands électeurs), il ressemble, à quelques exceptions près, à une caricature de démocratie représentative : une chambre d'hommes, vieux notables locaux assoupis, amateurs de cumul, dans laquelle les populations rurales sont surreprésentées !
Toutefois, l'existence de deux chambres reste pertinente. Il faut toujours diviser le pouvoir pour que " le pouvoir arrête le pouvoir ". En effet, aucune sélection n'est neutre, aucun mode de scrutin n'est parfait et tout suffrage active des biais porteurs de dérives. C'est donc la concurrence des pouvoirs, si elle est bien organisée, qui peut neutraliser ce danger. Mais pour que les légitimités des deux chambres soient complémentaires et non redondantes, elles doivent être différentes. Initialement, l'Assemblée nationale devait représenter les citoyens et le Sénat les territoires. Mais, dans le cas de la France, qui n'est pas un Etat fédéral, ce rôle n'apparaît plus très clairement dans le fonctionnement de cette chambre.
La vraie distinction, qui pourrait fonder un régime démocratique mixte, réside donc entre l'élection et le tirage au sort. L'Assemblée nationale pourrait rester une chambre partisane, avec une majorité porteuse d'un projet politique et soumise à la sanction de votes réguliers. A côté de cette " représentation-mandat ", le Sénat pourrait assurer une " représentation-miroir ", en choisissant les sénateurs au hasard, comme pour les jurés d'assises, sur les listes électorales par exemple, de préférence en y ajoutant les résidents étrangers.
Dans ce cas, pas besoin de discrimination positive. En ouvrant le palais du Luxembourg au hasard, on est à peu près certain de la représentation équitable des sexes, des classes et des âges. Avec une telle " politique-réalité ", on peut parier que les téléspectateurs se passionneraient davantage qu'aujourd'hui pour les programmes de la Chaîne parlementaire, car ils se retrouveraient dans ces parlementaires qui leur ressemblent. Le dispositif permettrait à des gens ordinaires de se voir offrir la possibilité matérielle de s'intéresser sérieusement à la politique.
Le Sénat tiré au sort n'aurait peut-être pas un pouvoir décisionnel plus important qu'aujourd'hui, mais un poids symbolique incontournable. Un gouvernement pourrait difficilement faire passer une loi contre la volonté des sénateurs. Ces derniers deviendraient alors la mauvaise conscience des gouvernants, un rappel à l'ordre permanent qui les empêcherait de prétendre détenir le monopole de la légitimité démocratique.