Et si on mesurait la richesse autrement ?
Laurent Jeanneau
Alternatives Economiques Poche n° 049 - avril 2011
L'argent ne fait pas le bonheur. Du moins au-delà d'un certain seuil. Même l'OCDE a fini par le reconnaître : en 2006, son économiste en chef d'alors, Jean-Philippe Cotis, concédait dans la très officielle publication Objectif croissance qu'" un surcroît de PIB par habitant, à partir d'un niveau déjà élevé, [pouvait avoir] un effet décroissant sur le bien-être ".
Aux Etats-Unis, ce seuil au-delà duquel un revenu supplémentaire ne se traduit pas nécessairement par davantage de bonheur a été évalué à 15 000 dollars par an. En France, les travaux de Florence Jany-Catrice ont montré que le bien-être n'augmentait pas dans les mêmes proportions que le produit intérieur brut (PIB), tandis qu'il n'existe aucune corrélation statistique entre le classement des régions selon leur PIB par habitant et celui selon leur santé sociale (voir graphique ci-dessous).
Le PIB ne prend pas en compte la qualité de l'environnement social, politique et naturel des individus, un critère pourtant déterminant pour leur bien-être. " Il faut remettre en cause le PIB comme mesure principale de la richesse pour disposer d'une image plus réaliste de l'évolution de nos sociétés, explique Dominique Méda. Le PIB ne nous dit rien sur les deux grands dangers qui nous menacent : la décohésion sociale et la dégradation du capital naturel. Il mesure les évolutions de la quantité et de la valeur des biens et des services qui sont produits et appropriés par les unités individuelles, pas celles du patrimoine naturel et social dont le développement nous importe. "
Il est donc important de changer de boussole, de définir de nouveaux indicateurs mieux à même de dégager les priorités que nous souhaitons nous fixer. C'est d'ailleurs la mission que Nicolas Sarkozy avait confiée en janvier 2008 à la commission coprésidée par Amartya Sen et Joseph Stiglitz, à la surprise de tous ceux qui s'intéressent à ce thème depuis des décennies.
" Nous devons retrancher du PIB les dégâts occasionnés, du fait de la production, à l'environnement et à ce que l'on peut appeler la "santé sociale", estime Dominique Méda. Plus généralement, nous devons cesser de penser que le progrès consiste à produire et à consommer toujours plus de quantités de biens et de services. Il peut prendre d'autres formes que l'accumulation : amélioration de la qualité des produits, des liens, de l'emploi, de la vie…, extension de la place et du temps dédiés aux tâches de soins (le care), à la délibération publique, etc. "
En savoir plus
" La richesse autrement ", Alternatives Economiques Poche n° 48, mars 2011 (disponible sur www.alternatives-economiques.fr), ainsi que le site du Forum pour d'autres indicateurs de richesse (Fair) : www.forum-fair.org