Deux expositions lyonnaises au MAC, aux titres évocateurs (« Always all ways » pour l’une, « Indian Highways » pour l’autre) de parcours et de passages, toutes deux d’artistes venus d’ailleurs (des Indiens peu connus pour la plupart et une star camerounaise vivant à Gand), mais deux principes très différents : l’exposition sur l’art indien contemporain va d’étape en étape à travers le monde (hier Londres, Oslo et Herning, demain Rome, Moscou, Singapour, Hong Kong, Sao Paulo pour finir à Delhi), s’enrichissant à chaque fois d’un nouveau commissaire et de nouveaux artistes (au risque d’en devenir, à la fin, confuse et ingérable).
Au contraire celle (jusqu’au 15 mai) sur Pascale Marthine Tayou, qui multiplie les expositions en ce moment, est une œuvre en elle-même. On n’y regarde pas les pièces une à une, passant de l’une à l’autre, changeant de point de vue et d’impression. Au contraire, on est pris dans un ensemble, dans une ambiance globale où les pièces individuelles se télescopent et concourent principalement à une synthèse, à une configuration de l’espace de cette grande salle. Matériaux divers, robes noires, foulards blancs, rouges et noirs, parapluies, cristal, sacs plastiques, vaisselle, panneaux double face (d’un côté une photographie, de l’autre un bric-à-brac d’objets en bois, en plastique), pelles et bêches, le tout dans un désordre déroutant, cacophonique, un véritable délice visuel.
On pénètre dans la salle en se faufilant dans la pénombre au milieu de ces troncs de bois suspendus, entre pieux menaçants dont la chute nous transpercerait (’Damoclès’, bien sûr) et crayons inoffensifs. On est ensuite pris dans ce tourbillon de formes et de couleurs, dans cet ensemble complexe qui constitue en fait un monument.
Dans l’œil du cyclone, on trouve le calme en plongeant du regard au milieu de l’assemblage géant de sacs plastiques (’Plastic Bags’): on l’avait vu au Moulin, massif et fragile, occupant l’espace ; on le retrouve ici comme apprivoisé, inviteur, féminin.
L’exposition des artistes indiens (jusqu’au 31 juillet) est bien plus ordonnée, salle après salle, éclectique, et on passe donc de l’admiration au rire ou à la critique dubitative. En simplifiant, on peut y voir deux pôles : le premier est du côté du spectaculaire, du clinquant, du monumental, pour faire de l’effet ; cette esthétique Bollywood n’est pas ce que je préfère, tout y est un peu trop évident, pas très sobre (ainsi ce camion fait avec des os de Jitish Kallat, ‘Aquasaurus’ ou le camion de billes d’acier de Valay Shende).
Il y a au contraire beaucoup d’œuvres intelligentes, évocatrices, devant lesquelles on n’est pas époustouflé mais au contraire séduit. Le mur étincelant de 25 mètres de Subodh Gupta, fait de trois rangées de 34 modules de vaisselle en aluminium étincelante, éblouit certes, mais il est aussi un concert de variations où aucun module n’est identique (‘Take off your shoes and wash your hands’). Mais, de Gupta, j’ai préféré, de loin, la pièce voisine, ‘Date to Date’, reconstitution d’un cabinet d’avocats provincial d’il y a 50 ans, vétuste et poétique en diable, avec ces masses de dossiers ficelés, poussiéreux.
Plus loin, Bose Krishnamachari utilise une vaisselle moins brillante, des gamelles à casse-croûte en métal terne, suspendues au plafond, dans lesquelles sont insérés de petits écrans vidéo avec des scènes de rue, des témoignages, des reportages impromptus, un bourdonnement de la rue de Mumbai (‘Ghost/Transmemoir’) : l’antithèse populaire du clean de Gupta, et, en somme, un esprit très proche de celui de Tayou.
En face, une caverne dans laquelle on pénètre, une alcôve aux murs recouverts de modèles réduits de bâtiments : avec des matériaux de récupération très ordinaires, Hema Upadhyay fait ressentir physiquement au visiteur l’urbanisation chaotique de Mumbai, de ses bidonvilles et de ses tours (‘8 feet x 12 feet’).
A l’autre étage, Tejal Shah revisite le service du Dr Charcot à la Salpêtrière, Dayanita Singh photographie ses rêves, les dessins et les vidéos de Sumakshi Singh créent un univers délicat et onirique, on peut pénétrer dans la citadelle de bidons d’huile noircis de Sheela Gowda, on retrouve la sculpture de microphones de Shilpa Gupta, mais les deux pièces qui retiennent le plus l’attention sont d’abord une forêt de bâtons d’encens de Hemali Bhuta (‘Growing’), forêt impénétrable où les différentes odeurs des encens se mêlent, se conjuguent et se dissipent avec le temps, une pièce très mystérieuse, évoluant au fil des années, jardin devenu sculpture (elle date de 2009). De la même artiste, des interventions très minimalistes sur les murs et les plinthes, taches de couleur à peine remarquées.
Enfin, complètement à l’opposé des camions du début, une salle de Raqs Media Collective où sont accrochées 27 horloges (’Escapement‘): sur les cadrans, en lieu et place des heures, des sentiments, « anxiety, duty, guilt, awe, fear ». Chaque horloge est assignée à une ville, comme une installation classique dans une salle de marché ou la réception d’un hôtel, de New Delhi à Grozny ; les horloges cliquètent et les bruits de fond vont du battement de cœur au son d’un modem, vie et technique. L’observateur attentif remarque que trois des horloges vont à rebrousse-temps, leurs aiguilles tournant à l’envers ; les villes associées sont Babel, Shangri-La et Macondo : dans les villes mythiques, le temps va à l’envers (surtout à Macondo). Sur le pilier central, ceint d’écrans vidéo, un visage tourne de face en face de gauche à droite ; cette pièce sur le temps et le rêve est une des plus fascinantes de cette exposition disparate.
Dans quelques mois, Pompidou présente aussi une exposition sur l’art indien ; on pourra comparer…
Pascale Marthine Tayou étant représenté par l’ADAGP, les photos de ses pièces seront ôtées du site à la fin de l’exposition.
Voyage à l’invitation du MAC Lyon.