Il est arrivé depuis plusieurs jours déjà. Un long voyage depuis son pays ravagé par une succession de guerres auxquelles il ne comprend plus rien, d’ailleurs dans sa mémoire il n’a aucuns souvenirs de paix, le mot serait même mystérieux s’il n’était synonyme de vie. Tous les siens sont morts, ses rares amis dispersés ou partis depuis bien longtemps vers des ailleurs au-delà de la frontière.
Désormais c’est lui qui fuit, sans très bien savoir où, mais le plus loin possible de son pays natal. Toutes ses maigres économies ont été englouties dans cette première partie du voyage, les passeurs et les pots-de-vin ont épongé son viatique. La faim, la soif, il les a endurées, la mort il l’a frôlée plus d’une fois, qu’importe puisqu’il est toujours vivant à cette heure. Vivant parce que exilé.
Demain il va jouer sa dernière carte, l’ultime chance pour lui de sauver ce qui reste de sa vie, passer cette dernière frontière et entrer au pays de l’espoir. Un obstacle imprévu s’est dressé devant lui, quasi insurmontable. La rumeur s’est répandue comme un feu de broussailles parmi la longue cohorte d’émigrés qui espèrent traverser la ligne de démarcation, le pays hospitalier applique désormais une nouvelle loi, ne sont acceptés que les sans papiers accompagnés de leur femme. Tous les autres seront impitoyablement refoulés.
Dans son esprit fatigué par les souffrances et les privations de l’exode, un plan a germé. Il est plus que risqué – d’ailleurs a-t-il seulement une seule chance de réussir ? – mais c’est le seul qu’il puisse utiliser. Il va se trouver une femme et à eux deux, se faire passer pour un couple. Avant de se présenter aux gardes frontaliers, ils doivent s’entraîner un peu, répéter un scénario bien fragile … nous leur souhaitons bonne chance.