Au poste de soins d’urgence
Vous
qui pleurez sans plus d’endroit d’où puissent venir des larmes
qui criez mais sans plus de lèvres pour former des mots,
qui cherchez à agripper mais sans plus de peau sur les doigts pour saisir
vous
inondées de sang d’une sueur huileuse de douleur et de lymphe vos quatre membres se débattant
gonflés réduits à un fil vos yeux scintillant blancs
seuls les élastiques de vos culottes tenant dans vos ventres enflés bleuis
même si de l’exposition de vos parties intimes vous voudriez avoir honte vous n’êtes plus en état,
et qui pourrait croire
qu’un instant plus tôt
vous étiez de jolies lycéennes !
Émergeant des flammes qui étincelaient obscurément
dans Hiroshima brûlée et pourrie
vous qui n’étiez plus vous-mêmes
vous sortiez en sautant, en rampant l’une après l’autre
jusqu’à ce terrain en friche
vous ensevelissiez vos têtes dénudées sauf quelques touffes dans une poussière d’agonie
pourquoi vous faut-il souffrir à ce point
pourquoi vous faut-il souffrir à ce point
pour quelle raison
pour quelle raison
combien désespérées de votre état
combien loin de l’humain
sous quelle apparence vous avez été rejetées
vous ne le savez plus.
simplement
vous pensez
à vos pères mères petits frères petites sœurs tels que ce matin
(est-ce qu’aucun d’eux vous reconnaîtrait maintenant ?)
et aux maisons où vous dormiez vous éveilliez mangiez
(en un instant les fleurs des haies furent arrachées et qui sait la trace de leurs cendres ?)
pensant pensant
tandis que vous êtes étendues parmi vos semblables qui l’une après l’autre cessent de bouger
pensant
au temps où vous étiez filles
filles d’humains.
Tôge Sankichi, Poèmes de la bombe atomique, traduction du japonais par Ono Masatsugu et Claude Mouchard, essai de Claude Mouchard, Éditions Laurence Tepper, 2008, p. 85 et 86
« Nous, aujourd’hui, ne savons pas trop comment lire ces vers terribles : ils nous tournent, autrement que tout texte d’historien, vers un événement qui dura quelques secondes, mais qui n’aura plus cessé de diffuser – physiquement, biologiquement, moralement, politiquement – dans l’espace et le temps où coexistent les humains. » (« Sans horizon ? », essai de Claude Mouchard, in Poèmes de la bombe atomique, p. 7)
Tôge Sankichi dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1,