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L’Observatoire des jeux de hasard et d’argent ne doit pas être un Observatoire «Croupion»

Publié le 22 mars 2011 par Alain Dubois

La réinstallation du Sénateur Trucy à la tête du Comité Consultatif du jeu ( CCJ) par François Baroin, avec au minimum l’accord du Président de la République, est intéressante à plus d’un titre. Elle confirme l’opiniâtreté d’un homme qui semble avoir fait sienne la devise, si on a une conviction, il faut la défendre coute que coute. Curieux pays cependant que la France ou il faut en permanence combattre, être dans le coup de gueule, la provocation - ou posséder de sérieux réseaux d’influence de différentes obédiences - pour arriver à ses fins. François Trucy ne demandait pourtant qu’une chose simple : mettre en place la nouvelle architecture prévue par la loi sur les jeux en ligne, après de multiples débats parlementaires, colloques, auditions, arbitrages…

Cette réinstallation confirme aussi, après l’épisode du soldat Woerth, que ce n’est pas forcément le «grand Amour» en matière de gambling au sein de la Majorité, malgré le nom du successeur «déjà» annoncé de François Trucy : Jean François Lamour. Un peu d’ironie facile étant  indispensable pour  traiter sereinement «ce monde très tourmenté du jeu» ou les intérêts financiers publics et privés sont tels, que tous les coups semblent permis et toutes les stratégies possibles, même les plus machiavéliques. La sociologie des logiques des acteurs du champ ludique indiquant en la matière, que les dés sont souvent pipés et que les jeux ne sont jamais faits.

De fait, cette réinstallation du Comité Consultatif du Jeu remet en scelle l’Observatoire des jeux (ODJ) qui – normalement – en sera son bras armé intellectuel et scientifique. C’est une bonne nouvelle, sous réserve que certaines conditions soient respectées. Cet observatoire doit posséder les moyens de son indépendance s’il veut informer objectivement le CCJ, l’ARJEL et au delà, la Politique des jeux du gouvernement. Ce serait une erreur politique et scientifique d’installer un Observatoire « Croupion ». De gauche à droite de l’échiquier politique, on souligne depuis des lustres  que les jeux de hasard en dur et en ligne constituent un grave problème de santé publique. Alors, si c’est si aussi dangereux pourquoi tant d’hésitations à mettre en place un Observatoire dédié ?! qui devra en réalité  travailler sur l’ensemble des causes et conséquences sociales du gambling et pas seulement sur la question du jeu excessif.

Cet organisme doit donc être à la hauteur des enjeux sociaux, économiques, fiscaux de l’ industrie des jeux, qui correspond par ailleurs à un fait social, historique et culturel qui concerne des millions de Français. Les chiffres du gambling soulignent d’évidence la nécessité d’un tel Observatoire. Même si les casinos sont toujours à la peine, - 2,1% la saison dernière, l’économie des jeux a battu des records en 2010 : +22% à 26,3 milliards. La Française des jeux «  gênée par son succès (A) » passe « pour la première fois » la barre symbolique des dix milliards. Les jeux en ligne légalisés depuis le 8 juin 2010  montent en puissance : 5, 012 milliards. Dans ce secteur, si les paris sportifs  semblent connaître actuellement « un trou d’air (1)» , le poker marche très bien et les paris hippiques progressent avec une régularité constante.

La France a tout à gagner en vérité de se doter d’un véritable Observatoire consacré aux jeux de hasard et d’argent  en ligne et en dur et à la socialisation ludique contemporaine, y compris vis à vis de l’Europe. Bruxelles veut des informations fiables et commence à s’interroger sur les vérités antinomiques douteuses de la doxa du jeu pathologie maladie. La Commission Européenne cherche par exemple à savoir si «le phénomène d’addiction est plus répandu dans le jeu en ligne que dans le jeu en dur. Certains disent que c’est le cas, d’autres prétendent l’inverse, déplore t on à Bruxelles. (2)» Nous ne sommes pas mécontents que la Commission s’interroge ainsi désormais, ayant souvent dénoncé  les analyses contradictoires et opportunistes de la doxa sur ce sujet. Cette interrogation européenne indique que la question du jeu excessif - sa définition, sa mesure - doit être traitée sérieusement et scientifiquement car elle peut facilement être instrumentalisée.

Actuellement la confusion des genres est totale.  La Française des jeux continue avec de gros moyens financiers son travail de verrouillage pour occuper tout le terrain. Elle poursuit sa politique de citadelle assiégée et  - la meilleure défense étant l’attaque - essaie de tout contrôler : financement de la doxa du jeu pathologie maladie, communication permanente, instrumentalisation des agences de presse et donc des médias sur la question du jeu responsable, activisme marketing et commercial sans précèdent... L’opérateur historique finance également les associations SOS joueurs, E-enfance, SEDAP (société d’entraide et d’action psychologique), CRESUS Alsace (surendettement social).

La Française des jeux essaie en réalité depuis plusieurs années (avec une accélération depuis la libéralisation des jeux en ligne) de verrouiller entièrement le volet recherche jeu pathologique, en finançant notamment le centre du jeu excessif de Nantes dirigé par Jean Luc Vénisse à hauteur de deux millions d’euros(3)., soit la bagatelle de 13,11 millions de nos bons vieux  francs. La FDJ est le «partenaire fondateur»  du centre de Nantes. La Française des jeux vient par ailleurs soudainement de verser 270 OOO euros à deux universités parisiennes pour verrouiller le volet plus large : gambling & sciences sociales. Christophe Blanchard Dignac (PDG de la FDJ) instrumentalisant à cette occasion certaines conclusions de l’expertise Inserm, qui invitait les pouvoirs publics (et non les opérateurs !) à mener des recherches sur les jeux d’argent et à  installer enfin un Observatoire . Ne parlons même pas de l’enquête sur « le caractère addictif des jeux en ligne» réalisée par MM. Ladouceur/LEJOYEUX à Bichat et financée également par la FDJ. Il y a (il y avait) bien au niveau de la recherche sur le jeu ( pour ne parler que de ce volet du dossier) la mise en place d’un «Plan B», sans CCJ et sans Observatoire. La Française des jeux en conflits  d’intérêts, finançant la quasi-totalité des études sur les jeux d’argent,  nonobstant sa commande à l’AFNOR, visant à auto définir la notion de «jeu responsable», sans doute pour mieux la contrôler. Toutes ces actions et tout cet argent engagé par l’opérateur des loteries court-circuitent l’Observatoire des jeux, avant même que celui ci ne soit installé et sans doute même pour qu’il ne soit jamais installé. Sans la démission de François Trucy le Comite Consultatif était enterré, l’Observatoire également.  Mais la réinstallation du CCJ et de l’ODJ pourrait constituer une victoire à la Pyrrhus si des actions fortes - concrètes et symboliques - ne sont pas immédiatement annoncées et engagées.

Certes, l’Observatoire des drogues et des toxicomanies (OFDT) a réalisé un « sondage » sur le jeu pathologique qui n’est pas financé par la FDJ. Mais cette étude, qui sera prochainement publiée, a été obtenue dans des conditions douteuses et des temporalités curieuses. Elle a été décidée dans l’urgence, en pleine expertise Inserm, comme le financement fondateur du centre de Nantes par la Française des jeux. Réalisée en réalité par l’INPES d’octobre 2009 à juin 2010  dans le cadre du Baromètre Santé, ce sondage téléphonique semble poser en outre de nombreuses questions épistémologiques et scientifiques. Fondamentalement chacun en conviendra, en aucune manière  l’Observatoire des drogues ne peut pas jouer le rôle qui incombe à un Observatoire des jeux. Certes, l’Avis n° 113 du Sénat présentée par Gilbert Barbier en novembre 2010 s’interrogeait un peu dans ce sens dans le cadre du renouvellement des crédits de la MILDT et de l’OFDT . Mais outre qu’on peut contester le fait que l’Observatoire des drogues cherche « soudainement » des relais de croissance dans l’industrie des jeux d’argent, qu’on peut observer que cet Observatoire a encore  beaucoup à faire en matière de stupéfiants au regard de la consommation de drogue en constante augmentation, on s’interrogera sur la symbolique engagée pour l’économie des jeux et les opérateurs, si l’Observatoire des drogues et des toxicomanies devenait l’organisme de référence en matière de recherche sur les jeux de hasard, une passion ordinaire et populaire qui concerne les loisirs et l’amusement des Français. Certains voudraient faire apparaître les opérateurs de jeu comme des dealers – Française des jeux et Etat Croupier en tête - qu’ils ne s’y prendraient pas autrement ! Ne parlons même pas de  l’image associée faisant apparaître les millions de français qui jouent comme des drogués du jeu, qui serait désastreuse et surtout fallacieuse.

Certes, un certain nombre d’instituts de sondages ( CSA(4)et Médiamétrie par exemple) - en l’absence d’Observatoire des jeux  - se sont lancés sur le créneau des études sur le gambling. Les pouvoirs publics , l’Arjel peuvent avoir la tentation d’utiliser - voir d’instrumentaliser – des sondages pour défendre leur bilan et leur politique des jeux. Mais les autres acteurs du champ, et notamment les opérateurs privés, ont également la capacité de financer des sondages qui défendent leurs intérêts. Plus fondamentalement les critiques actuelles sur les sondages, qui suivent le  rapport des sénateurs Portelli et Sueur sur « les sondages et la démocratie », n’invitent pas l’autorité publique à céder à cette tentation en matière de jeux d’argent, domaine en outre particulièrement difficile à investiguer. Car bien entendu ces critiques ne concernent pas que les sondages politiques, que « le Sénat veut désormais réglementer ’(5)», mais tous les sondages. Méconnaissance de la spécificité du champ concerné, manque de rigueur méthodologique et de représentativité, études réalisée de plus en plus systématiquement par téléphone ou on line(6) redressements qui permettent toutes les manipulations….En aucune manière les instituts de sondage ne pourront se substituer à un Observatoire, dans le domaine sensible des jeux de hasard et d’argent.

Les experts de l’Observatoire (8 personnes prévues dans la loi mais dans notre organigramme de préfiguration cet organisme est appelé à monter en puissance autour de différents pôles d’activités) doivent avoir les moyens de travailler et c’est un travail à temps plein. En outre, ils ne doivent pas être en conflit d’intérêts. Le financement  public majoritaire de l’Observatoire, c’est le prix à payer pour son indépendance. On a beaucoup parlé de Conflits d’Intérêts  dans le domaine politique. Ils existent également  dans le domaine de l’expertise (climat, santé , médicament). Par conséquent en aucune manière les chercheurs responsables, les chargés d’études, les spécialistes qui travailleront à l’Observatoire  des jeux ne doivent avoir de relations contractuelles ou êtres financés directement ou indirectement par la FDJ, le PMU, les casinos ou les opérateurs privés de jeux en ligne. Cela exclut les « spécialistes »  de l’addiction ( réels ou auto proclamés) les plus en vue  qui sont actuellement déjà grassement financés par les opérateurs, principalement par la Française des jeux. Le cahier des charges de l’Observatoire des jeux concernant les conflits d’intérets doit  donc être aussi conséquent que celui que possède l’Arjel. Alors que le rapport de la Commission Sauvé(7) est  encore chaud et que certains se demandent si  « le temps de la tolérance zéro(8)» n’est pas venu en matière de conflits d’intérêts, l’installation d’un Observatoire des jeux permettrait  d’en éviter de nombreux dans le domaine de la recherche sur le gambling et notamment sur le volet  jeu pathologique. Car bien évidemment la notion de conflits d’intérêt peut-être « objective » et ne concerne pas que le cumul des fonctions (public, privé)  et l’enrichissement personnel des hommes politiques ou des responsables publics.

Le gouvernement a semble-t-il compris en réinstallant le CCJ et donc l’Observatoire des jeux qu’une saine régulation doit s’appuyer sur la recherche, l’expertise, séparer les compétences, s’il ne veut pas être accusé d’être partisan ou sous la pression des opérateurs ou d’autres acteurs du champ ( doxa, association, lobby, groupes de pression néo-rigoriste..). Le fait que le successeur annoncé de François Trucy – Jean François Lamour – annonce(9)qu’il travaille actuellement avec la députée socialiste Aurélie Filippetti  ( qui avec d’autres ténors de la gauche, et notamment Gaëtan Gorce, sont fortement intervenus dans les débats parlementaires de 2010) souligne que la classe politique devrait pouvoir se retrouver sur cette idée d’observatoire, qui travaillerait sans a priori sur les jeux de hasard et d’argent et remettraient les compteurs à zéro en matière de recherche, y compris sur le terrain du excessif. Dans le cas contraire cela signifierait qu’il y a en réalité une collusion droite/gauche – un jeu politique - sur le dossier du gambling, malgré les joutes rhétoriques antagonistes  qui se sont déroulées au Sénat et à l’Assemblée Nationale en 2010.

Certes la légalisation des jeux d’argent sur Internet ne peut que renforcer l’acuité des questions sociétales qu’entraîne l’économie du hasard (conséquences sociales , santé publique…). Comme ces problématiques (et notamment la question du jeu «excessif», du taux de redistribution, du jeu des mineurs et des personnes vulnérables…) ont largement été mises en avant pour justifier l’ouverture « maîtrisée » des jeux en ligne, il convient qu’elles  ne soient pas instrumentalisées. En aucune manière les opérateurs de jeux ne peuvent diligenter et financer des recherches sur l’impact de leur activité comme ils le font actuellement - Française des jeux en tête - pour influer directement ou indirectement sur les décisions du Comite Consultatif. C’est désormais à l’Observatoire des jeux de mener ces investigations.  Comme le CCJ a été réinstallé, l’observatoire des jeux doit désormais jouer un rôle central dans ces études. Mais si c’est une coquille vide, il sera rapidement qualifié d’observatoire croupion et ne pourra pas mener à bien ses nombreuses missions. Avec tout le respect que nous devons à Hélène Gisserot (Présidente du comité consultatif pour l’encadrement des jeux et du jeu responsable : COJER) nous aurons à faire à un COJER bis et non à un Observatoire. A l’heure où certains questionnent le rôle ambigu joué par les experts dans d’autres dossiers (réchauffement climatique, grippe A H1N1, tabagisme passif…) il convient que l’observatoire des jeux possède les moyens de ses ambitions, afin de réaliser des recherches pluridisciplinaires indépendantes, neutres et objectives. Si l’Etat et la Majorité ont enfin le courage de jouer franc jeu dans ce dossier, ils seront gagnants au bout du compte et éviteront bien des critiques, contentieux et polémiques ultérieures. Si  l’Opposition revient aux affaires, elle pourra également s’appuyer sur les travaux  de cet Observatoire pérenne pour mener à bien sa politique des jeux.

Historiquement, 2010 restera pour la France l’année de la libéralisation des jeux d’argent en ligne, prémisse probable à une évolution similaire dans de nombreux autres pays, Etats-Unis compris. Certes, cette « ouverture » du gambling virtuel a été souhaitée « maîtrisée» par le législateur. Elle n’en marque pas moins la fin d’une prohibition. Bien qu’illégaux, des milliers de sites exploitaient depuis des lustres cette situation, créant un marché gris qui autorisait toutes les manipulations et souffrait d’accusations dont certaines probablement légitimes ( insécurité des jeux, possibilités de blanchiment, intérêts mafieux, origine des capitaux, évasion fiscale…) Cette prohibition – outre son aspect rétrograde vis à vis du développement d’internet dans tous les secteurs d’activité – mettait  en outre la France en contradiction vis à vis d’une volonté européenne forte, de libéraliser les services et d’offrir plus de concurrence aux consommateurs joueurs. Et comme les deux  opérateurs historique – Française des jeux en tête une nouvelle fois – s’étaient lancés fortement dans les jeux d’argent en ligne, et pratiquaient par ailleurs depuis des années un activisme commercial & marketing forcené (en France et à l’étranger) se situant aux antipodes d’une politique des jeux limitée et responsable, il a été impossible à la France et à Bercy – nonobstant la question du jeu des mineurs ! - de s’opposer durablement à cette volonté de l’UE de manière logique et cohérente. A l’époque, nous avions résumé la situation dans la formule : «l’autorisation des jeux de hasard en ligne est dans la logique des choses européennes et dans  la logique de l’ubiquité d’internet ». Après bien des vicissitudes qui ressemblaient parfois à des pantalonnades indignes de la France , un certain nombre de jeux en ligne ont été autorisés dans un cadre réglementaire bien précis. Mais la fin relative(10) de la prohibition du gambling virtuel ne règle pas tous les problèmes.

Ainsi on peut s’interroger pour savoir si « le marché est devenu légal à 90% (11)», les paris illégaux «un phénomène marginal (12)»  comme l’affirme le Président de l’Arjel ; ou si à l’inverse «les sites autorisés ne représentent pas plus de 30 % du marché en valeur des jeux en ligne» et si «la loi sur les jeux en ligne favorise la fraude(13)» comme le précise Stéphane Courbit… haut et fort.  L’ouverture  n’étant pas totale, le cadre réglementaire très rigoureux aussi bien pour les opérateurs que pour les joueurs, la question doit être posée sans tabou. Le fait que Betfair n’ait encore pas demandé de licence ne peut être ignoré. Ce  leader mondial des jeux en ligne estimant que le marché français est le pire des marchés régulés -  «Il est apparemment ouvert mais on ne peut rien faire(14). Dans le même temps, on peut voir  le «géant américain du poker Caesars(15)» établir un  partenariat avec Lucien Barrière. Mitch Garber (directeur général de Caesar) estimant que «  la France est un très grand marché du poker(16)» On peut également s’interroger sur  la fiscalité (taxation des mises et non des revenus nets) qui serait prohibitive pour certains opérateurs et empêcherait de capter, notamment en matière de poker, «les gros joueurs  qui sont à l’étranger(17)» selon Tim Philipps, responsable Europe de Betfair.

Il serait important que l’Observatoire problématise ces questions fondamentales, enquête, recoupe les informations et statistiques pour éviter que ces dossiers ne soient totalement instrumentalisées dans un sens ou dans un autre comme ils le sont actuellement. Le CCJ pourra ensuite plus sereinement émettre des avis et le gouvernement modifier le cas échéant sa Politique des jeux. Il en va de même sur l’excessivité dans le jeu qui doit constituer une thématique prioritaire du programme de recherches de l’Observatoire des jeux.

Ainsi en ce qui concerne le taux de retour au joueur (TRJ) on sait qu’il a été limité arbitrairement à 85%  pour les jeux en ligne  afin (c’est la thèse officielle) de lutter contre l’addiction. L’ancien ministre du Budget instrumentalisant dès le départ le TRJ pour en justifier sa limite soulignant , sans en apporter la preuve scientifique, que plus le taux de redistribution d’un jeu était élevé plus ce jeu était pathogène. Nous avions condamné à l’époque cette instrumentalisation et le Sénateur Trucy était intervenu également pour dire qu’Eric Woerth était peut être allé un peu vite en besogne. Ce sera le rôle de l’Observatoire de réaliser des études quanti et quali sur cette question sensible qui doit être abordée sans a priori et sans hypothèse pré ou sur-déterminée. On voit en effet tout l’intérêt que peut avoir la FDJ (sous couvert de lutte contre l’addiction) d’ imposer un taux bas pour éviter de phagocyter ses jeux en dur et surtout pour lutter contre les nouveaux entrants afin qu’ils ne puissent pas offrir des taux attractifs. Plus globalement on voit tout l’intérêt à terme pour l’ensemble  des opérateurs d’avoir des  taux de retour bas, intérêt qui s’oppose à celui des joueurs qui rêvent au contraire à des taux de redistribution généreux. Une des missions de l’Observatoire serait donc de travailler sérieusement et sans aucun  tabou sur cette question complexe,  notamment sur la question de la corrélation entre TRJ et excessivité.

De la même manière on peut  s’interroger sur le caractère plus ou moins pathogène des différents jeux de hasard. La doxa du jeu pathologie maladie a d’abord affirmé que c’était la roulette et les jeux de casino qui étaient le plus dangereux, instrumentalisant le mythe du joueur freudien et le symbole de l’enfer du jeu, le casino. Ensuite certains psychologues et psychiatres ont décrété que  les machines à sous étaient particulièrement addictives à cause de leur coté… répétitif ! Rapido est assez rapidement devenu le nouveau  démon pathogène de la doxa parce qu’il était…rapide (sic) et à tirages fréquents. La FDJ a accusé le coup pendant des mois mais a ensuite transformé (la formule est  testée depuis quelques mois) le Rapido en Amigo, grâce à la complicité active d’une partie de la doxa du jeu pathologie maladie, partie prenante dans ce « relookage sémantico marketing » au mépris de toute déontologie. Désormais Amigo (véritable clone du Rapido en réalité) ne serait plus pathogène. Bien entendu pour les jeux d’argent en ligne, la doxa du jeu pathologie maladie (curieusement nettement moins alarmiste sur le caractère addictif des jeux vidéos(18) a affirmé immédiatement qu’ils allaient être forcément pathogènes et particulièrement addictifs à cause de leur proximité domestique et leur disponibilité permanente. (bref tout ce qui fait l’intérêt et la spécificité des jeux en ligne !) Mais comme au sein de la communauté scientifique il y a un certain nombre de personnalités (et non des moindres) qui sont de plus en plus « sceptiques(19)» sur le concept d’addiction au jeu en ligne grâce à l’avancée des recherches sur « la dépendance(20)», la doxa continue régulièrement de pousser des « cris d’alarme(21)» en faveur de l’équation : jeu en ligne = drogue.

Tant que la critique des jeux d’argent et la volonté de «soigner» et d’aider les joueurs problématiques s’est cantonnée au travail d’une association parisienne et à un centre de soins historique de la capitale spécialisé dans la toxicomanie, cet activisme  relayé par les médias à coup de titres racoleurs et de statistiques improbables («les drogués du jeu», «le jeu est une pathologie», «les joueurs compulsifs»…) fut sans doute  nécessaire. Il servit de tambour, d’alerte à un Etat Croupier exploitant lui même sans vergogne – Française des jeux en tête -  la poule aux œufs d’or, sans trop se soucier des conséquences sociales et en termes de santé publique de cette exploitation. Mais désormais les choses ont bien changé. C’est à une scandaleuse instrumentalisation du jeu excessif à laquelle nous assistons. Comme nous avons pu dire que les jeux d’argent étaient une affaire trop sérieuse pour qu’ils soient laissés uniquement dans les mains des opérateurs, on peut dire de la même manière que le jeu excessif est une question trop importante pour qu’il soit laissé uniquement dans les mains des psychologues et des psychiatres.

Pour éviter que ces questions cruciales ne soient instrumentalisées comme elles le sont actuellement (par les opérateurs , Française des jeux en tête et par la doxa du jeu pathologie maladie ) et comme elles vont l’être avec une plus grande acuité quand les «études» en cours dont nous avons parlées seront publiées, il faut de la mesure, de la recherche de l’expertise, de la réflexion pluridisciplinaire scientifique indépendante. Ce sera la mission fondamentale de l’observatoire. Comme le précisait Jean-François Vilotte (avant que le sénateur Trucy ne soit réinstallé) «il faut, pour évaluer correctement le marché des jeux d’argent, notamment au regard des enjeux d’ordre public et social, avoir une vision complète en intégrant les jeux restés sous monopole. Tel est l’objet du Comite Consultatif des jeux. Il est urgent qu’il soit installé(22)(22) » De notre point de vue il est tout aussi urgent que l’Observatoire des jeux le soit. Il permettra de définir les indicateurs objectifs qui reflètent la réalité des pratiques ludiques de nos contemporains, la typologie des joueurs ( en ligne et en dur), la diversité de leur comportement, les logiques ludiques des différents jeux, la problématisation de l’excessivité dans le jeu qui n’est forcément pas synonyme de pathologie mais qui s’inscrit dans une biographie de joueur, les tranversalités ludiques etc… Le Comite Consultatif sera mieux à même d’émettre ses avis. L’autorité publique pourra le cas échéant modifier sa politique en connaissance de cause.

Certes on peut s’interroger pour savoir si une Politique des Jeux nationale sera encore possible pour le gouvernement quand cette architecture sera complètement mise en place, nonobstant les contraintes d’harmonisation européennes. Certains s’interrogent pour savoir si ces organismes indépendants (agences, commission, autorité de régulation, observatoire..) ne sont pas trop nombreux. Ce à quoi Alex Türk , président de la CNIL répond : «  on dit qu’il y en a trop mais on n’arrête pas d’en créer de nouvelles : Hadopi, Arjel(23)«  D’autres plus fondamentalement craignent que la prolifération d’autorités indépendantes  « n’entrainent une dépossession du politique par lui-même » et « une vision parcellaire de l’action publique (24)» au détriment de l’intérêt général. Sur ce registre certains observateurs ont vu la nomination d’un commissaire du gouvernement à l’Arcep (qui a ensuite été annulée) comme une reprise en main  du politique sur l’instance de régulation des télécoms.

En matière de jeux si ces craintes et interrogations existent aussi (et pourraient expliquer pourquoi le CCJ et l’observatoire des jeux ont pris du retard), il nous apparaît qu’elles ne sont pas justifiées. En ce qui concerne l’Arjel, elle régule, applique une réglementation, ne définit pas une politique des jeux. Pour le (futur) Comité des jeux, comme l’a plusieurs fois rappelé le sénateur Trucy , il sera  simplement « consultatif ». Quant à l’Observatoire des jeux il devra mesurer, expertiser , analyser, dans le cadre épistémologique de la neutralité scientifique. En final l’Etat ayant une appréhension globale de l’intérêt général, pourra donc toujours dessiner les grandes orientations d’une Politique des jeux nationale qui - dans un cadre et un marché ludique Européen et mondial en évolution -  trouve son équilibre, entre liberté, responsabilité...et fiscalité. Certes si  le Parlement n’est plus «croupion» , l’Etat reste le principal « croupier » de l’industrie des jeux de hasard. Cette situation qui a des raisons historiques  entraine un paradoxe  - «le paradoxe de l’Etat Croupier» - qui rend difficile la mise en place d’une Politique des jeux responsable parfaitement cohérente. Croupier, l’Etat l’est triplement, par  les activités et on pourrait dire l’activisme de la Française des jeux,  par l’impôt et la fiscalité, parce que c’est lui qui édicte les règles du jeu. Consciente que cette triple casquette porteuse de conflits d’intérêts était désormais trop large à porter, les pouvoirs publics ont  prévu – dans ce domaine comme dans d’autres – la mise en place d’une autorité de régulation ( qui fonctionne), d’un comité consultatif (en construction).  Il convient qu’ils parachèvent le travail en installant un Observatoire des jeux au dessus de tout soupçon qui  possède des moyens propres au moins égal à celui de l’Observatoire des drogues. Ce serait un signal et une étape importante. L’étape suivante consisterait à mettre en place une Autorité unique du marché ludique (un marché de plus complexe, de plus en plus mondialisé et en croissance constante) comme il en existe par exemple pour les marchés financiers (AMF). La classe politique aura ensuite matière à s’interroger sereinement pour savoir si l’Etat doit enfin se désengager de l’exploitation directe d’un des piliers important de l’industrie du vice, et donc abandonner sa fonction la plus contestée d’Etat Croupier, ou si elle doit au contraire précieusement la conserver.

Sans avoir eu  la prétention de nous mettre sur le même plan que le Sénateur Trucy, nous sommes à l’origine – avec Marc Valleur ( Directeur de Marmottan) et Christian Bucher ( Psychiatre) de l’initiative intellectuelle et scientifique ( antérieure aux deux rapports sénatoriaux) qui a abouti à l’inscription d’un Observatoire des jeux dans la loi sur le gambling virtuel votée en 2010. Deux tribunes dans le quotidien économique Les Echos (juin 2001, décembre 2003), plusieurs contributions dans la Revue Espaces(25) et des dizaines d’interventions médiatiques en témoignent. Au moment ou se prépare le colloque du 22 Mars à la Maison de la Chimie sous le haut patronage de François Baroin, au moment ou le sénateur Trucy s’apprête à réaliser un  ultime ballet marathon d’auditions au Palais du Luxembourg du 29 mars au 1° avril , notre devoir était d’intervenir à nouveau fortement pour défendre cet instance pour laquelle nous nous sommes battus une bonne partie de notre vie et pour laquelle nous avons de grandes ambitions qui dépassent largement des intérêts strictement personnels.
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin (Lyon- France), Mars 2011 - @[email protected]   (A) D’après France Soir du 28 janvier 2011 la Française des jeux aurait dans son bilan  de l’année 2009 « raboté ici ou à les chiffres pour rester en dessous ( de la barre des dix milliards d’euros), de peur de choquer » l’opinion. La barre des 10 milliards de CA aurait donc été franchie en 2009 et non en 2010 comme l’ont  affirmé les médias. Cette information qui n’engage que France-Soir n’a pas été confirmée par la FDJ…  

(* 1)Christophe Palierse : « Le marché des paris sportifs en ligne connaît un  trou d’air «  ( Les Echos du 3 mars 2011)

  • (2)Alexandre Counis : «  Jeux en ligne : Bruxelles prépare un Livre Vert très consensuel «  ( les Echos, 13 janvier 2011)
  • (3)Versé par la Française des jeux au centre du jeu excessif dirigé par JL Vénisse pour la période 2007-2015 ( communiqué de presse de la FDJ, 12 avril 2010)
  • (4)Le CSA a réalisé un sondage  « on line «  sur  «  les internautes et les jeux d’argent «  (CSA, communiqué de presse janvier 2010)
  • (5)Patrick Roger : «  Le sénat veut règlementer les sondages politiques «  ( Le Monde du 15 février 2011)
  • (6)Lire à ce sujet l’excellent entretien d’Alain Garrigou ( Professeur de sciences politiques à Paris Nanterre) réalisé par Thomas Wieder ( Les Echos du 15 février 2011) Il montre l’absence de rigiueur méthodologique des sondages notamment de ceux réalisés par téléphone ou on line, qui sont de plus en plus nombreux pour faire des économies. !
  • (7)Emeline Cazi : «  Des règles strictes pour lutter contre les conflits d’interets : la commission Sauvé remet son rapport à Nicolas Sarkozy «  ( Aujourd’hui en France, 26 janvier 2011)
  • (8)Valérie de Senneville : «  Conflits d’interets : le temps de la tolérance zéro » ( Les Echos du 8 février 2011)
  • (9)Aurélie Filipetti et moi même conduisons une mission sur l’application de la loi dont les cponclusions devraient être rendues fin avril «  ( IgamingFrance du 21 février 2011)
  • (10)Certains jeux et non des moindres ( machines à sous , vidéo poker, loteries, jeux de grattage…) sont soit purement interdits sur  la toile ou ne sont pas ouverts à la concurrence
  • (11)Interview de JF Vilotte : «  Le marché des jeux en ligne est devenu légal à 90% » (lepoint.fr du 9 décembre 2010)
  • (12)Interview de JF Vilotte : « Paris en ligne illégaux : un phénomène marginal »( Le Républicain Lorrain.fr du 28 janvier 2011)
  • (13)Interview de Stéphane Courbit : «  La loi sur les jeux en ligne favorise la fraude » ( par M. Visseyrias, I. Letessier, lefigaro.fr du 28 novembre 2010)
  • (14)Christophe Palierse : «  Pour le britannique Betfair, la France est le pire des marchés régulés » ( Les Echos du 8 février 2011)
  • (15)Christophe Palierse : «  Le géant américain du poker Caesars mise sur Barrière «  ( Les Echos du 10 février 2011)
  • (16)Christophe Palierse : ibid. ( Les Echos du 10 février 2011)
  • (17)Christophe Palierse , ibid., ( Les Echos du 8 février 2011)
  • (18)Tristan Vey : «  L’addiction aux jeux vidéo reste complexe et marginale «  (Le figaro.fr  du 24 novembre 2010)
  • (19)Anne Jouan : «  Addiction au jeu en ligne : les neuroscientifiques sceptiques «  ( Le Figaro.fr du 6 juillet 2010)
  • (20)Franck Niedercorn et Catherine Ducruet : «  Drogues et dépendance : de nouvelles  pistes «  ( Les Echos du 9 décembre 2010)
  • (21)Anne Jouan : «  Paris et jeux en ligne : le cri d’alarme des psychiatres «  ( Le Figaro.fr le 6 juillet  2010)
  • (22)Interview de JF Vilotte : « Paris en ligne illégaux : un phénomène marginal »( Le Républicain Lorrain.fr du 28 janvier 2011) Confer également le discours de JF Vilotte  ou il précise à propos du Comite consultatif des jeux : «  Cet organisme clé d’observation, d’analyse et de propositions sur la politique des jeux en France est primordial pour aborder les prochaines échéances et phases de développement de ce secteur de manière cohérente «  (Cérémonies des vœux de l’Arjel, 21 janvier 2011, page 8)
  • (23)Interview d’Alex Türk par M. Bellan et N. Rauline  ( Les Echos du 8 février 2011)
  • (24)Editorial de Jean Francis Pécresse : «  Un problème d’autorités «  ( Les Echos du 8 février 2011)
  • (25)" Prolifération des jeux d'argent, misère de la recherche " (Les Echos , «  le point de vue de  JP Martignoni»,  25 Juin 2001,60) “Un observatoire pour une politique des jeux ”  (Espaces tourisme & loisirs n°210, décembre 2003, 16-20)« La nécessité d’une réelle politique des jeux «  (Les Echos du 26,27décembre 2003, p.10, “Idées” «  le point de vue de )

NB = IMPORTANT : L’installation de l’observatoire des jeux et la nomination de ses membres ( arrêté du 11 mars 2011, JO du 13 mars 2011) n’étaient pas connues au moment ou cet article a été rédigé.


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