Devant la première des deux vitrines portant ici, dans la
salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, le numéro 4, je vous avais volontairement, mardi dernier, souvenez-vous amis lecteurs, quelque peu laissé sur votre
faim quant à savoir qui était ce Metchetchi, dont le présent fragment de linteau nous signifiait qu'il avait dû évoluer parmi les hauts dignitaires à la cour du roi Ounas, ultime souverain
de la Vème dynastie, à l'Ancien Empire.
La promesse que je vous avais néanmoins faite d'être un peu plus disert par la suite autorise notre rendez-vous de ce matin pendant lequel j'escompte attirer votre attention sur deux précisions d'importance que nous révèlent ce bloc de calcaire, ainsi que la stèle fausse-porte du Metropolitan Museum of Fine Arts de New York. Ces deux monuments ayant constitué partie intégrante de son mastaba nous permettront de découvrir sur un plan philologique deux titres qui furent siens, celui de Directeur du bureau des Khentiou-she du palais, d'une part - les 10 premiers signes hiéroglyphiques sur le cliché ci-dessous - et l'épithète d'imakhou, d'autre part - les cinq derniers signes.
Après vous avoir une nouvelle fois précisé que tous ici se
lisent de droite vers la gauche, je vous propose de les aborder dans l'ordre de leur apparition sur le monument et donc par la fonction qui fut celle de Metchetchi :
Directeur du bureau des khentyou-she du palais ;
en vocalisation (probable) des hiéroglyphes : Imy-ra set khentyou-she per-aâ.
D'un point de vue linguistique, examinant ces quelques hiéroglyphes, vous me permettrez quelques petites précisions pour vous en faciliter la compréhension, mais sans évidemment aborder trop de détails sémantiques ou grammaticaux qui pourraient ici paraître un peu rébarbatifs à ceux qui, parmi vous, n'ont pas les élémentaires notions de base de l'écriture et de la langue égyptiennes. Quant à ceux qui, d'aventure, en posséderaient les clés, mes explications auront le goût inutile d'une glose banale et parfaitement indigne des philologues qu'ils sont. A ceux-là, je conseillerai en toute équanimité de patienter et d'attendre notre rendez-vous de mardi prochain aux fins de découvrir ce que recouvraient socialement ces titres régaliens.
Avant de plus tard nous interroger sur l'emplacement bien précis et "inhabituel" de deux signes, commençons voulez-vous, par analyser la translittération de ce titre d' Imy-ra set khentyou-she per-aâ et d'en proposer une traduction.
* imy-ra, abrégé ici en mr est figuré par les hiéroglyphes G 17 (le hibou, la chouette = le 3ème élément de l'inscription ci-dessus), signe phonétique indiquant le son m et D 21 (la bouche = le 4ème, juste en dessous), phonogramme indiquant le son r ; l'ensemble signifiant littéralement : celui qui est dans la bouche (de ses subordonnés) ; ce que l'on peut traduire par "directeur".
* set est représenté par le hiéroglyphe Q 1 (le siège - 5ème signe de l'inscription) qui quand il est, comme ici, suivi de X 1 (galette de pain - 6ème signe, à la gauche du précédent) en tant que signe-son t signifie lieu, place ; ce qu'il est convenu d'ici traduire par "bureau".
* khentyou-she
L'ensemble se compose des hiéroglyphes W 18 (quatre jarres emprises dans un bâti qui les maintient droites les unes à côté des autres - 7ème signe de l'inscription) qui se lit khenty et se traduit par celui qui est devant, celui qui préside à ; X 1 (galette de pain - 8ème signe ; N 37 (étendue d'eau - 9ème signe) qui se prononce she et prend ici le sens de propriété foncière ; et de N 25 (trois vallonnements dans le désert - 10ème et dernier signe) qui fait fonction de déterminatif géographique.
(L'amateur que je suis s'adresse maintenant à un
philologue patenté qui ,éventuellement, lirait ces lignes : dans tous les ouvrages spécialisés, alors que j'y lis le terme khentyou, j'en suis encore à me demander, au niveau de la
transcription hiéroglyphique, où se trouve incisé ce "ou", forme du pluriel, dans l'inscription de Metchetchi ?)
* per-aâ
Le terme est formé à partir des hiéroglyphes O 1 (plan d'édifice - 1er signe de l'inscription ci-dessus) qui se lit per et se traduit par maison et O 29 (poteau en bois posé horizontalement - 2ème signe) qui se lit aâ et qui signifie grand ; ce que nous traduisons dans ce cas d'espèce par la grande maison, la résidence (royale), en tant qu'institution cardinale de l'Etat pharaonique).
Permettez-moi ici d'ouvrir une petite parenthèse : ce per-aâ nous a été transmis à travers les textes bibliques pour également désigner, par synecdoque, le pharaon lui-même, tout comme de nos jours en France on lit volontiers dans la presse que l'Elysée - ou Matignon - a décidé que ... (signifiant que c'est le Président - ou le premier Ministre - qui a pris telle ou telle décision ...) et en Belgique, que le Palais annonce le mariage de ... (alors qu'il faut évidemment comprendre que c'est le Roi qui fait cette déclaration ...)
Venons-en maintenant à l'emplacement spécifique de ces deux signes à propos duquel j'ai précisé tout à l'heure que je désirais attirer votre attention. Vous aurez évidemment remarqué que l'expression "du palais" qui termine la traduction que j'ai donnée du titre porté par Metchetchi ne se trouve pas placée, comme en français, en fin de l'inscription gravée mais, tout au contraire, la commence.
Nous sommes en présence d'un cas assez fréquent dans l'écriture hiéroglyphique que les
philologues nomment : antéposition honorifique. Ce qu'ils désignent par ces termes constitue en fait le produit d'une notation graphique empreinte de respect qui voulait que le scribe (ou ici le
lapicide) plaçât le nom du roi ou d'une divinité en tête d'expression ou de phrase, tout en sachant qu'il se lisait à la place normale qui eût dû graphiquement être la sienne.
Venons-en maintenant aux cinq derniers hiéroglyphes de l'inscription faisant allusion à la notion d'imakhou ; épithète qui, comme à bien d'autres personnes de l'entourage des souverains de l'Ancien Empire, fut attribuée à Metchetchi.
Les égyptologues la traduisent souvent par bienheureux ou vénérable : cela signifie que son détenteur bénéficiait de certaines faveurs accordées par la Cour : ... bienheureux auprès du roi, bienheureux auprès d'Ounas, précise notre linteau
Imakhou : Le terme peut soit s'écrire entièrement, soit se résumer au seul signe imakh (F 39 de la liste de Gardiner - 3ème signe dans l'inscription ci-dessus), censé représenter l'épine dorsale d'un mammifère de laquelle sourd la moelle épinière.
Quand il s'écrit in extenso comme ici, il se compose des hiéroglyphes M 17 (roseau fleuri, ayant la valeur phonétique de notre i - 1er signe de droite) et U 2 (faucille - 2ème signe, à la gauche du 1er) qui se prononce ma. L'ensemble donnant donc ima.
Ces deux signes sont suivis du F 39 que j'ai cité ci-avant ; puis de deux autres terminant le mot : à droite, le 4ème signe, Aa 1 (considéré comme la représentation d'un placenta humain et qui a la valeur du son k) et à sa gauche, le dernier, G 43, figurant une petite caille qui se lit ou ; l'ensemble se prononçant donc kou.
Ce qui donne, pour l'épithète entière : imakhou.
A présent que nous comprenons un peu mieux - à tout le moins j'espère avoir été clair - la manière dont, dans l'écriture hiéroglyphique, apparaissaient les deux titres de Metchetchi, nous pouvons prendre rendez-vous mardi prochain 29 mars, pour découvrir ce que le premier signifie socialement et le 5 avril suivant, à la veille du congé de Printemps belge, le sens du second ...
A mardi ?
(Grandet/Mathieu : 1990, 148 et 380 ; ID. 1993, 411, 417, 429 et 430 ; Lefebvre : 1960, 383-426)