C’est une exposition de signes, de symboles, d’icônes, une exposition de liens poétiques, incongrus et interrogateurs entre des univers différents, entre des vecteurs de sens que nul autre ne penserait à rapprocher, c’est une exposition sur le monde, sur l’architecture et la géographie, faisant surgir des vérités cachées, latentes, affleurant sous la surface de la réalité. Le duo Société Réaliste est au Jeu de Paume jusqu’au 8 mai avec un ensemble nommé Empire, State, Building où, dans des salles noires et grises, sans couleur, il est question d’empires, d’états et d’architectures, mais aussi du ciel et, beaucoup, des étoiles.
Les murs s’ornent de motifs calendaires et astronomiques (‘Culte de l’Humanitée’ sic) dont le complexe décodage passe par la voûte céleste du drapeau brésilien la nuit de la proclamation de la République, le 14 novembre 1889, les constellations visibles à Paris le 5 octobre 1789 (jour du retour de Louis XVI à Paris sous la pression populaire), et la rareté des femmes dans le calendrier du Catéchisme Positiviste d’Auguste Comte : assez typique du duo, la pensée s’éclate entre des pôles lointains qu’ils relient et la forme est aussi un éclatement dans les salles tout au long de l’exposition. Ce décodage sous-tend tout leur travail, qu’il s’agisse d’une carte des frontières de l’Europe depuis 2000 ans, où la profondeur du trait est directement proportionnelle avec l’ancienneté de la frontière, des pays à la surface composée par les paroles de leurs hymnes nationaux, du détournement des symboles monétaires, ou de la manière dont l’Empire State Building se transforme graduellement en Palais des Soviets virtuel. Vous apprendrez que l’îlot de Rockall est le plus petit territoire du monde revendiqué par plusieurs pays, Irlande, Grande-Bretagne, Islande et Danemark, vous y verrez les tracés de 52 murs de séparation entre pays, chacun devenant un caractère d’un nouvel alphabet dans lequel sont retranscrits des slogans ou des aphorismes, vous y découvrirez les marches 1790 à 1793 d’une Tour Eiffel qui devait en compter 1789, passant ainsi de la Bastille à la Terreur, et bien d’autres étranges phénomènes, tous agencés autour du film The Fountainhead de King Vidor d’après le livre de l’hyper-libérale Ayn Rand , film duquel Société Réaliste a ôté les personnages et le son, le réduisant à des architectures new-yorkaises transposées à Hollywood et devenues archétypes modernistes du capitalisme triomphant.C’est une exposition à la fois dense et légère, où on est surpris à chaque instant par le mariage des formes avec ce regard original, dérangeant porté sur le monde. Société Réaliste combine un discours anarchisant et profanateur avec une déconstruction des formes, un glissement, une juxtaposition de langages différents, de changements d’échelle, de superpositions, et d’analogies ; c’est un appareil critique déroutant et stimulant.
Photos provenant du site des artistes.