Les matériaux de l'urbanisme sont le soleil, les arbres, le ciel, l'acier, le ciment, dans cet ordre hiérarchiquement et indissolublement. (Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier)L'optimisation d'un procédé industriel, la conception d'un nouveau produit, l'amélioration d'un outil ou d'une machine, ou encore la réduction du coût d'un équipement sont des occasions de changer des matériaux existants pour leur substituer des matériaux plus performants.
Une démarche rationnelle
Choisir le plus intelligemment le bon matériau n'est pas uniquement affaire d'intuition. Il existe en effet une méthodologie de sélection des matériaux qui constitue une démarche rationnelle.
Plaçons-nous dans un contexte typique. Étant donné un problème d'ingénierie à résoudre (concevoir un pont, un avion...), on découpe d'abord le problème en sous-problèmes élémentaires où un composant doit assurer une fonction (éventuellement plusieurs, si on ne peut vraiment plus séparer le composant en sous-composants avec des fonctions distinctes). Chaque composant doit être fabriqué avec une forme et un matériau qu'il va falloir choisir au mieux. Notons qu'il peut y avoir plusieurs manières de concevoir la solution globale du problème d'ingénierie (un avion peut être biplan ou monoplan, à réaction ou à hélices...), mais le cadre de la sélection des matériaux est plutôt postérieure au choix d'une conception globale, et donc d'un découpage en composants.
Le principe général de la sélection des matériaux est le suivant : le composant est constitué d'un matériau encore inconnu, mais dont certaines propriétés sont pertinentes pour la ou les fonction(s) qu'il doit assurer. Choisir un bon matériau, c'est choisir un matériau dont les propriétés pertinentes sont optimales.
On ne raisonne donc plus sur les matériaux mais sur les propriétés pertinentes.
En toute généralité, un composant est défini par une géométrie et un matériau donnés, qu'il faut optimiser de concert. Toutefois, il est fréquent qu'on puisse séparer le choix de la géométrie et le choix du matériau, ce qui permet de se focaliser sur la problématique matériau indépendamment.
Choisir un matériau pour une poutre rigide et légère
On veut réaliser une poutre de section carrée lxl (la largeur l étant à optimiser), de longueur donnée L, avec une rigidité minimale (la déflection d de la poutre sous l'effet d'une force transverse F ne doit pas être supérieure à une valeur limite dmax) et la plus légère possible.
- le premier est la racine carrée de la rigidité minimale F/dmax ;
- le deuxième est la longueur L de la poutre à la puissance 5/2, valeur imposée ;
- et le troisième est la densité du matériau divisée par la racine carrée de son module d'Young (propriété mécanique caractérisant la rigidité intrinsèque du matériau).
La géométrie intervient ici de manière indirecte, car pour un choix de matériau donné, la rigidité minimale n'est atteinte que si la largeur de la poutre dépasse une valeur minimale, qui est dépendante du matériau.
L'exemple ci-dessus illustre une situation typique de sélection des matériaux, où l'optimisation d'un composant se traduit par l'optimisation d'une combinaison de propriétés du matériaux, qu'on appelle un indice de performance. Cet indice est égal à la densité divisée par la racine carrée du module d'Young dans l'exemple.
Une fois identifié un indice de performance, on peut chercher dans une base de données les valeurs de cet indice pour tous les matériaux possibles. Cette démarche est fastidieuse et donne peu d'intuition sur le type de matériaux qui conviennent.
Ashby a proposé une manière visuelle de représenter les matériaux par une série de diagrammes sur lesquels chaque matériau est représenté par une bulle dans un graphe à deux dimensions dont chaque axe correspond à une propriété donnée (la bulle étant d'autant plus grosse que les valeurs des propriétés d'un matériau sont incertaines). Par exemple, si on représente la densité en ordonnée et le module d'Young en abscisse, voici à quoi ressemble un tel diagramme :
Il est hors de propos ici de décrire plus en détail l'usage de tels diagrammes pour la sélection de matériaux. Signalons simplement qu'il existe un logiciel de sélection des matériaux (payant), CES Selector, très facile d'utilisation, qui rassemble une base de données étoffée et des guides pour sélectionner des matériaux pour différents types de problèmes, aussi bien mécaniques que thermiques, chimiques, environnementaux...
Enfin, l'optimisation d'un matériau passe souvent par des critères financiers. Le prix peut être intégré dans l'optimisation (par l'intermédiaire d'une propriété "prix au kg") et on peut très bien optimiser le prix d'un composant plutôt que son poids ou sa rigidité.
Intérêt pour le médiateur technique
La sélection des matériaux est une problématique transversale du point de vue technique : beaucoup d'industries sont amenées à choisir des matériaux. Il est alors utile de connaître cette technique pour plusieurs raisons :
- les outils de sélection et les experts en sélection des matériaux peut être utile à beaucoup d'entreprises, et un médiateur technique a intérêt à avoir ces experts dans son carnet d'adresses ;
- la sélection des matériaux peut conduire une entreprise à chercher un fournisseur pour un matériau optimal donné, et les bases de données de sélection des matériaux contiennent parfois des listes de producteurs ;
- et enfin, il est intéressant pour un médiateur technique de vérifier que le type de matériau qu'une entreprise recherche existe, pour éviter une longue quête de chimère.