Minou... Chaminou !...

Par Oddjob

"Ce soir-là, au volant de mon imposante Super-Super Stromboli de luxe, je fonçais vers ma non moins imposante résidence de la Siesta-sur-Mer…"

Nous sommes en 1964 et dans les pages du journal de Spirou Raymond Macherot démarre son chef d’oeuvre : Chaminou contre le Khrompire !

Quelques temps plus tôt, il avait quitté Bruxelles, le Journal de Tintin et les éditions du Lombard, pour lesquelles il avait créé Chlorophylle et Clifton. Soient LA série bucolique et animalière de référence à jamais inégalée et les enquêtes so british d’un colonel à la retraite et chef scout à ses heures (Héron Mélomane, flegmatique à souhait et jamais caricatural).

C’est donc une fois passé à la concurrence (ce dont il rêvait depuis ses débuts), à Marcinelle et aux éditions Dupuis, que naissent les aventures d’un chat détective et de sa fidèle assistante Zonzon. Ou plutôt l’unique aventure d’un personnage, resté incompris tant par l’éditeur (celui-ci ne désirant rien d’autre que d’avoir "sa" série animalière et champêtre, Macherot lui créera Sibylline, souris au caractère bien trempé, mais le Bosquet Joyeux n’aura toutefois jamais le charme de Coquefredouille) que des autres auteurs maison (Franquin en tête !).

Sur l’île de Zoolande, un royaume peuplé d’animaux, règne la paix entre les différentes espèces (même l’hermine du bon roi Léon XXXVIII est synthétique…), celles-ci ne se nourrissant que de pâtes, de légumes et de fruits. Et c’est justement pour avoir enfreint l’article 22 bis de la loi sur les délits graves, que Grinchon le Léopard, dit le "Khrompire", purge perpet’ à la prison de Durmur. D’où il s’enfuira… et notre héros de se retrouver presque par hasard sur la trace de ce terrible carnivore !

Car le très élégant et raffiné Chaminou (toujours tiré à quatre épingles, pilotant de superbes bolides et demeurant dans une non moins splendide villa), tel un agent 00 décalé et continuellement dépassé par cette histoire, se fait voler la vedette par sa pétillante et très pin-up secrétaire et surtout par Pépin, un gardien de prison...

A la fois sombre parodie, à l’humour très noir et à la violence (et à la sensualité !) sans cesse sous-jascente, des films d’espionnage (très) en vogue à la même époque, et fable animalière (et donc critique subtile et bien sentie de la société humaine) cet album unique (à tous les points de vue, le nom de l’auteur n’apparaissant pas sur la première édition) est sans doute la parfaite synthèse des univers de Chloro et de Clifton.

Le fourbe gouverneur Crunchboltt n’est pas sans rappeler le machiavélique Anthracite (les rats noirs et leur sulfureuse postérité en moins). Quant au rythme et à l’action, ils sont dignes de Clifton et les Espions, épisode très "Le Carré" et le plus typiquement britannique de la série (trahison, faux coupable, anciens nazis et MI5).

Et tout ce petit monde d’évoluer dans une ambiance et des décors véritablement bondiens  : design sixties, cocktails pop, portes dérobées, séances de torture, gadgets sophistiqués, médecins mégalos, réseaux souterrains et … requins facérieux !

Alors, pour vos prochaines vacances, oubliez Ibiza et rendez-vous à la Siesta… !