Etat chronique de poésie 1164

Publié le 21 mars 2011 par Xavierlaine081

 

1164

J’entre en ces vastes salles consacrées à l’art. 

Ce pourrait être un beau lieu, sinon que la petite porte, presque invisible, s’ouvre dans une petite rue, parfois obstruée de dizaines de véhicules déposés là, malgré les interdictions visibles. 

Un caliquot en façade annonce : « J-C D Roman ». 

Le Monsieur (je met tout de même une majuscule par simple politesse qu’il ignore parfois) livre à la ville les graphismes de son festival de cinéma depuis des années. 

Je l’ai connu en pape de la culture déjantée et revendiquant sa marginalité en d’autres lieux. 

Il vante son anarchisme à qui veut l’entendre, non sans se donner de grands airs de donneur de leçon, invitant les incultes qui l’entourent au silence par quelques mots méprisants et bien sentis. L’homme est abject, ce pourrait être son affaire. 

Mais comment fait-il pour s’obtenir les bonnes grâces de tous les pouvoirs ? Sans doute ceux-là le craignent qui lui ouvrent grand les portes de ces mausolées où la culture plonge, vérolée d’un élitisme vétuste qui l’isole du commun. 

J’entre. Mes yeux embrassent la première salle : les tableaux sont apposés en rangs d’oignons. 

Sur chacun J-C D s’est illustré, de sa prime jeunesse à sa vieillesse arrogante, écrivant en phrases insipides le roman d’une viesans relief ni intérêt, épicentre d’un monde qui ne tourne que sous sa baguette magique (j’allais écrire sous sa braguette, je me suis retenu, peut-être ai-je eu tort). L’homme ici nous fait la démonstration sans faille de son égocentrisme, de son égoïsme total. Lui existe, les autres ne sont que barbares incompréhensifs pour une œuvre sans allure. 

Il y eut un vernissage ronflant, devant une foule très dispersées d’intimes ou de cafards. 

L’homme y montrait son vrai visage de suffisance. Il était à lui seul l’ART. 

Demain l’histoire oubliera même son nom. Il faudra bien, pourtant, écrire quelque chose sur cette période glauque qui vit les artistes autoproclamés tenir le haut du pavé, brisant avec un sans gêne illimité ce que des siècles de travail patient avait construit : une présence du beau comme sublimation de l’humain, l’art tenant le miroir d’une époque pour accompagner ses contemporains dans leur chemin vers l’humain. 

Désormais, et J-C D en est la pure illustration, l’art ne fait que tendre son miroir à celui qui le fabrique (car la création a déserté), pour lui donner son triste reflet, et convaincre ses contemporains qu’il n’a rien à lui dire, le considérant comme gueux devant les dieux de la toile, sans étoile ni trompettes. 

Un jour, excédé des excès de ces fifrelins prétentieux, j’écrivais un texte vengeur titré « Le problème de l’art, c’est le narcisse ». Je le glissais à notre thuriféraire qui s’empressa de le publier dans son journal de l’époque, « Le brouillon ». Sans doute ne l’avait-il point lu, ou ne s’était-il absolument pas senti concerné. 

Ainsi vont les egos pathologiques qu’ils ne savent même plus distinguer ce qui les honore de ce qui les descend en flamme. 

Ma ville s’affichant avec ces tristes lumières ne fait que dire haut et fort ce en quoi elle croit : la culture n’est pour elle qu’un divertissement, un supplément d’âme secondaire. 

Il est d’ailleurs très significatif qu’aucun des postulants aux sièges de conseillers généraux n’aborde le sujet. Ils ont sans doute raison : pour eux la culture est morte et enterrée. 

Qu’ils fassent seulement attention aux fantômes. 

Manosque, 20 février 2011

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