Faut-il interdire le tabac ?

Publié le 21 mars 2011 par Jemesensbien

Le tabac est la première cause de mortalité dans les pays européens… M. Jacques Attali veut l’interdire dans le monde entier ! Est-ce raisonnable ?

Monsieur Attali vient de se prononcer pour l’interdiction totale du tabac dans le monde. Certains médecins lui emboitent le pas en déclarant « On se méfie du Médiator, on devrait se méfier 10 000 fois plus du tabac qui est responsable de plus de morts dans le monde que le paludisme et le sida réunis », rappelle le Dr Jan-Cédric Hansen, médecin généraliste coordonnateur et neuro-psycho-pharmacologiste. Oui le tabac est une drogue. Cependant, cette posture, outre qu’elle s’inscrit dans une logique « totalitaire » qui n’est pas vraiment en phase avec le sens actuel de l’histoire, pose problème.

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Il n’est pas question ici de nier le problème de santé publique posé par la consommation de tabac, mais il est question de se demander si le problème est bien posé et si, dès lors, les solutions mises en jeux sont adaptées et pertinentes.

Un toxique excitant
La consommation de tabac s’inscrit dans la consommation de toxiques excitants au même titre que la consommation du café, du thé, de l’alcool, des stupéfiants et autres substances interférant avec le fonctionnement du cerveau.
Cette pratique semble universelle tant sur le plan historique qu’ethnologique et elle a nourri notre littérature ne serait-ce que par le traité des excitants modernes d’Honoré de Balzac paru en 1839. Il n’est donc pas possible, en première approche de décréter son bannissement sans avoir compris ce qui la sous-tend.

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La consommation de tabac, comme celles des autres toxiques excitants, regroupe deux pratiques bien distinctes. D’une part la consommation maitrisée (à visée essentiellement « récréative » dans nos sociétés industrialisées et à visée plutôt « divinatoire » –utilité sociale– dans les sociétés dites « préindustrielles » telle que notre logique ethnocentrique les désigne). D’autre part la consommation addictive, non maitrisée, qui s’impose au consommateur par une dépendance psychique -et parfois même physique– au toxique.

La toxicité aigüe du tabac
Si pour un toxique comme l’alcool, la distinction entre les deux types de consommation est bien identifiée, pour le tabac, l’amalgame est de mise. Pourtant il ne s’agit pas que d’une simple approche intellectuelle suspecte « d’intellectualisme ». Comme tout toxique, les effets délétères du tabac n’apparaissent que pour une concentration donnée (toxicité aiguë essentiellement) ou une dose cumulée dans l’organisme qui le reçoit (toxicité chronique essentiellement).
Pour l’alcool, la toxicité aiguë est connue du grand public, c’est l’ivresse pouvant conduire au coma éthylique. La toxicité aigüe du tabac, par contre, est largement méconnue pourtant, l’ingestion d’une cigarette est suffisante pour entrainer une intoxication à la nicotine entrainant des troubles du rythme cardiaque voire la mort. Une seule cigarette est donc potentiellement mortelle si elle n’est pas fumée mais ingérée (utilisée comme insecticide et raticide). Mais on fait confiance à tous les fumeurs pour qu’ils ne laissent pas leurs enfants manger une cigarette. En tout état de cause, les anti tabac n’ont, curieusement, pas choisi ce cheval de bataille pourtant très parlant.
Pour l’alcool, la toxicité chronique est elle aussi connue du grand public, c’est la cirrhose alcoolique conduisant bien souvent au cancer du foie. La toxicité chronique du tabac, elle, aboutie, entre autre, au cancer broncho-pulmonaire dont la fréquence justifierait les mesures « totales » prônées par Monsieur Attali.
Dans les deux cas, la toxicité chronique est le résultat d’une addiction, d’une dépendance qui relève d’une sensibilité individuelle. Il ne viendrait pas à l’idée à Monsieur Attali de bannir l’alcool avec la même sévérité parce qu’il est convaincu qu’il maitrise sa consommation (ce qu’on lui souhaite).

Les risques de maladies
L’exposition chronique au tabac par dépendance ne provoque pas que le cancer broncho-pulmonaire, elle provoque aussi le cancer de la gorge, de la bouche, de la langue, des lèvres, du larynx, du pharynx, de la vessie, des reins, du pancréas de l’estomac et du col de l’utérus. Bien plus, le tabagisme chronique provoque un grand nombre de décès par crises cardiaques, accident vasculaire cérébral et autres formes de maladies cardiovasculaires. Des recherches américaines indiquent que 46 % de tous les décès reliés au tabagisme sont attribuables à des maladies cardiovasculaires, 26 % au cancer du poumon, 14,3 % à la bronchite chronique et à l’emphysème, 7 % aux autres formes de cancer et 6,7 % à d’autres causes.
Il est d’ailleurs important de noter que les images imposées sur les paquets de cigarette par la réglementation ne sont pas le reflet de la réalité des pathologies liées au tabac et que bien plus grave, les promoteurs de ces images sont incapables de donner aux médecins les histoires cliniques, notamment la quantité de tabac réellement consommée par les patients qui sont exposés sur les paquets de cigarettes (ont-ils seulement été fumeur ?). Si l’on désire obtenir une éducation à large échelle de la population, il est nécessaire de diffuser une information fiable et vérifiable. Si l’on veut pouvoir compter sur l’appuie des médecins, il convient de leur donner des informations cliniques pertinentes sur les cas cliniques exposés afin de leur donner les moyens de répondre aux questions de leurs patients générées par la vue de ces images choquantes. Rien de tout cela n’a été fait.

Dès lors, il convient d’aborder ce problème de santé publique à sa juste mesure, dans son contexte socio-économique en prenant en compte l’appétence de l’espèce humaine pour les psychostimulants et la nécessité de laisser la maitrise à ceux qui peuvent exercer leur libre choix et d’accompagner ceux qui sont à risque de dépendance.
Bien évidemment, il n’est pas tolérable que les fabricants puissent renforcer le caractère « addictif » du tabac comme il est délétère de déformer la vérité ou de forger des arguments faux pour soutenir une campagne de sensibilisation aux méfaits du tabac.

Une attitude quelque peu excessive
Au total la posture de M. Attali, si elle devait être suivie, aboutirait à un passage complet de l’économie et de la consommation liée au tabac dans une zone de non droit comme pour les autres toxiques interdits à ce jour, générant des profits colossaux échappant à la fiscalité, des exécutants et des intermédiaires totalement dépourvu de protection sociale et des consommateurs à la merci de n’importe quelle dérive de la qualité car il n’y aurait plus de contrôle. Sur le plan sanitaire, on assisterait, avec quelques décennies de décalage, à une explosion des pathologies induites par le tabac, les substituts utilisés par les trafiquants et les produits favorisant la dépendance qui seront rajoutées sans limites (c’est déjà la tendance par la seule distorsion de prix entre pays limitrophes au sein de l’Union Européenne). En effet, outre le caractère éthnologiquement incontournable de la consommation des psychostimulants, du fait de sa qualité de « transgression » sociale acceptable, qui ne serait que renforcée par la mesure d’interdiction, la consommation exploserait et la production viendrait probablement diversifier celle des territoires déjà dédiés à la production du pavot ou pire à celle dédié à la production agricole en raison des profits potentiels (pouvant aboutir, in fine, à de nouvelles émeutes pour la faim).
Finalement en s’affranchissant d’une analyse stratégique de la problématique dont il s’est saisi, Monsieur Attali abouti à une solution qu’il croit « de bon sens » mais qui en fait se révèle bien pire que la situation actuelle.

Faut-il pour autant accepter que le tabac reste la première cause de mortalité dans les pays européens ?
Non bien évidemment ! Mais comme pour tout toxique, il convient d’identifier quels sont les facteurs de risque de dépendance, de repérer les individus qui y sont exposés, de les sensibiliser sur les risques qu’ils encourent eux, à titre personnel, sans les culpabiliser (seule méthode de prévention primaire qui a fait ses preuves), de leur proposer des aides et un accompagnement au sevrage (seule méthode de prévention secondaire qui a fait ses preuves). Il convient de faire savoir à tous les seuils de consommations qui s’accompagnent d’une diminution de la durée de vie et en quelle proportion (par exemple doubler la quantité de tabac consommée par jour double le risque de cancer bronchique alors que doubler la durée de consommation multiplie par 20 le risque de cancer bronchique).

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Il convient d’étudier les conséquences sanitaires des faibles consommations à visée récréative. Il convient d’accepter et d’étudier les bénéfices possibles de la consommation de tabac (la nicotine a un effet bénéfique sur la maladie de Parkinson, propriété mise en évidence en comparant des malades fumeurs et non fumeurs). Il convient d’identifier des pratiques de substitution ou d’identifier des modes de consommation moins risqués.

Comment s’y prendre ?
En bref, il convient d’aborder ce problème de manière rigoureuse, non démagogique, en respectant une méthodologie, poursuit le Dr Jan-Cédric Hansen :
• Définir précisément la situation qui pose problème dès lors que le constat est acté.
• Identifier toutes les causes, enchainées ou synergiques, de la situation qui pose problème.
• Fixer les objectifs à court, moyens et long terme.
• Faire le bilan des obstacles et des moyens/solutions à disposition pour les franchir, les contourner.
• Élaborer une doctrine d’emploi des moyens/solutions.
• Établir une stratégie de franchissement/contournent des obstacles sur la base de la doctrine.
• Mettre en place un groupe pérenne chargé de la planification et de la conduite de la stratégie dans le cadre de la doctrine.
• Identifier et mobiliser les relais chargés de la déclinaison tactique de la stratégie.
• Ne diffuser que des informations fiables et vérifiables conduisant à la clarification des enjeux individuels et collectifs en cohérence avec la stratégie.
Il n’y a pas d’autre approche. C’est moins immédiat qu’une solution « de bon sens » mais c’est plus pertinent et donc plus efficace, conclut le Dr Jan-Cédric Hansen.

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