Cédric Klapisch a toujours été un cinéaste de l’air du temps, captant avec sa caméra les maux de son époque et les problématiques rencontrées par ses contemporains.
Il a aussi toujours été un artiste “engagé”, luttant contre les injustices sociales et les différences de classes.
Dès Riens du tout, son premier long-métrage, il confrontait les puissants aux plus faibles, sacrifiés sur l’autel de la rentabilité économique, opposant la force du collectif à l’individualisme.
Mais entre ce premier film, réalisé en 1991, et aujourd’hui, le monde a changé. Le bloc de l’est s’est effondré et converti au capitalisme, l’Inde et la Chine sont désormais des acteurs majeurs de l’économie mondiale. Et, à l’échelle hexagonale, les puissants ne sont plus – ou plus seulement – les grands capitaines d’industrie ultra-libéraux des années 1980/1990, mais les fameux traders qui jouent avec les cordons de la bourse pour le compte de sociétés financières multinationales…
Aussi, rien d’étonnant à ce que l’un des personnages principaux de Ma part du gâteau soit l’un de ces golden boys de la finance qui jonglent avec des millions sans se soucier des conséquences sociales de leurs actions.
Stéphane (Gilles Lellouche) ou plutôt “Steve” pour ses collègues anglais est un boursicoteur de génie, qui flaire tous les coups susceptibles de lui rapporter de l’argent. Il n’a aucun scrupule, aucune morale. Les autres, il s’en fout complètement. Son objectif est purement égoïste. Il veut juste sa part du gâteau, et la plus belle tranche, si possible…Ses employeurs songent logiquement à lui faire occuper des fonctions plus élevées dans la société et l’envoient faire ses preuves à la tête de la nouvelle filiale parisienne…
A l’opposé de l’échelle sociale, on trouve France (Karin Viard), ouvrière à Dunkerque. Un travail assez mal payé, mais qui, malgré des fins de mois difficiles, lui permet toutefois de subvenir aux besoins de ses trois filles.
Ou plutôt lui “permettait”, car l’usine a fermé. Délocalisée à l’étranger pour plus de rentabilité ou purement et simplement liquidée pour que les propriétaires touchent un petit pactole. Les 1200 ouvriers licenciés tentent de faire valoir leurs droits, mais leur combat est perdu d’avance. Au mieux, ils pourront négocier une prime de licenciement un peu plus consistante, qui leur permettra de voir venir dans un contexte économique bien sombre.
Refusant de sombrer définitivement dans la misère, France n’a que deux options : le suicide ou un nouveau départ, ailleurs… Elle part pour Paris, où elle décide de suivre une formation de femme de ménage. Une reconversion généralement proposée aux femmes d’origine étrangère, considérées comme plus défavorisées, mais comme le lui fait remarquer le personnage joué par Zinedine Soualem : “Avec toutes ces délocalisations, toutes ces usines qui ferment, vous êtes devenue comme une étrangère dans votre propre pays”.
Loin de ses enfants et de ses attaches dans le nord, elle persévère et finit par décrocher un emploi dans le luxueux appartement de… Steve.
Cette rencontre de deux personnages ayant des conceptions opposées de la vie, de la réussite, des relations humaines fournit à Cédric Klapisch le terreau d’une nouvelle comédie de caractères fortement ancrée dans son époque, sur fond de crise économique et de détresse sociale.
Au début, on craint que la comédie ne soit un peu trop caricaturale et manichéenne, avec d’un côté la brave ouvrière et de l’autre le vilain trader, chaque trait de caractère étant appuyé par le cinéaste. Mais le cinéaste obéit à une certaine logique. Il décrit la société française telle qu’elle est, avec un clivage de plus en plus net entre les plus riches et les plus démunis, les dominants et les dominés, les requins sans scrupules et les petites gens…
Ma part du gâteau est un film de confrontations. Confrontation entre le trader macho/égocentrique maîtrisant les arcanes de la finance et la femme de ménage volontaire et généreuse, pleine de bon sens concernant les choses de la vie.
Confrontation entre les luxueux buildings des quartiers d’affaires londoniens et les docks du nord de la France, entre le luxueux appartement de La Défense et les HLM de Dunkerque, entre les party glaciales du beau monde et le carnaval chaleureux de la cité nordiste, le champagne millésimé et la bière bon marché…
Le montage, élégant et assez subtil, accentue le contraste entre les univers, montrant le fossé qui se creuse entre les populations. Une image de jet privé cède sa place à un RER de banlieue, une sortie familiale au parc local contraste avec un week-end “romantique” à Venise…
Evidemment, Cédric Klapisch n’en reste pas là. Il entend faire évoluer ses personnages en échangeant les points de vue, en faisant en sorte qu’ils s’apprivoisent, apprennent à se connaître et à s’apprécier. De fait, une complicité naît peu à peu entre France et Steve qui s’enrichissent du contact avec l’autre. Elle lui apporte son avis franc et sans concession sur l’amour et les relations homme-femme, et lui rappelle que s’il s’échine à gagner tout cet argent, c’est avant tout pour assurer l’avenir de son enfant, ce petit garçon espiègle dont il ne s’occupe pas assez. Il lui donne accès à un univers qu’elle n’aurait jamais rêvé découvrir, lui offre plus d’argent qu’elle n’en a jamais eu pour rester à son service, et lui montre que les gens riches ont à peu près les mêmes problèmes existentiel que les petites gens…
Là encore, le film emprunte des sentiers dangereux, prenant le risque de basculer dans la bluette romantique façon Pretty Woman (dont il reprend d’ailleurs la chanson de Roy Orbinson).
Mais la vie n’est pas un conte de fées, la réalité finit par rattraper les deux personnages et la tonalité du film se fait moins légère, flirtant presque avec le drame. Sans vouloir trop en révéler, la fin risque même de dérouter les spectateurs, déjà parce qu’un peu abrupte, laissant des situations en suspens ; ensuite parce que la comédie cède la place plus clairement à la parabole politique. France n’est alors plus un personnage : elle devient la France, le pays. Et Steve représente le pouvoir financier sans frontières, sans autre loi que le capitalisme sauvage et l’ultralibéralisme. Leur relation oscille entre amour et haine, chacun ayant besoin de l’autre pour exister. Mais c’est une relation dominant/dominée puisque France est presque “esclave” de Steve, soumise, en tout cas, à son bon vouloir égotiste. Tout comme la République française est obligée de se plier aux règles des pouvoirs financiers, quitte à pénaliser son peuple.
Pour le cinéaste, la seule chose qui peut encore faire évoluer la situation, c’est la solidarité entre les opprimés, la force du groupe et la rébellion face à l’autorité.
Révolutionnaire, le cinéma de Klapisch? N’exagérons rien… Mais le cinéaste a clairement choisi son camp. Celui des plus démunis plutôt que celui des plus riches, celui du peuple plutôt que celui des marchés financiers.
Il est un cinéaste “populaire” dans tous les sens du termes, et surtout les plus positifs : généreux, franc, humaniste…
On serait tentés de faire la comparaison avec des auteurs tels que Ken Loach à sa grande époque ou Franck Capra, si la comparaison ne risquait d’être aussi écrasante. Car, même si la démarche de Klapisch est courageuse et intelligente, il faut aussi reconnaître que sa mise en scène n’est pas exempte, ici, de maladresses et de certaines lourdeurs.
Depuis quelques années, le cinéaste s’essaie à des projets plus ambitieux, plus complexes, pour le meilleur (Paris, mais surtout Les poupées russes) et le moins bon (Peut-être, Ni pour ni contre). Dans ce nouveau long-métrage, on voit un peu trop les ficelles et les thématiques sont un peu trop démonstratives pour que l’on adhère totalement au message du film. Et on est un peu nostalgique de cette apparente légèreté et de ce charme discret qui faisaient le prix de ses oeuvres de jeunesse, Riens du tout, Le Péril jeune ou Chacun cherche son chat…
Oh bien sûr, que les admirateurs du cinéaste se rassurent. On retrouve quand même certaines de ses qualités essentielles. Déjà dans le choix des musiques du film, toujours en phase avec l’air du temps et les thèmes abordés (Gainsbourg côtoie la comédie musicale Roméo & Juliette, Mélody Gardot alterne avec du hip-hop…). Ensuite dans sa direction d’acteurs, impeccable. Le cinéaste peut compter sur une de ses actrices-fétiches, Karin Viard, pour insuffler de la fantaisie et une pincée d’émotion à son personnage, et il offre à Gilles Lellouche un rôle intéressant de salaud touchant car un peu paumé, mais quand même franchement infâme…
Dans les seconds rôles, on retrouve l’inévitable Zinedine Soualem (c’est la tradition), Audrey Lamy, Jean-Pierre Martins, Fred Ulysse ou Kevin Bishop (autre habitué du cinéma de Klapisch depuis L’auberge espagnole).
Ces qualités donnent un film plaisant à suivre, souvent drôle et touchant. Ce qui permet au cinéaste de faire passer son message en douceur et d’inviter le spectateur à la réflexion sur le monde dans lequel nous vivons.
Evidemment, certains trouveront cela trop naïf ou simpliste, voire trop moralisateur. Peut-être, mais Ma part du gâteau a au moins le mérite d’aborder ces sujets de société importants et de les rendre accessibles à une large audience, via un enrobage de comédie. Après, on peut être d’accord ou non avec les opinions du cinéaste, mais cela permet d’entamer le débat. Et, à une époque où la politique intéresse de moins en moins de citoyens, cela n’est pas du luxe…
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Ma part du gâteau
Réalisateur : Cédric Klapisch
Avec : Karin Viard, Gilles Lellouche, Audrey Lamy, Jean-Pierre Martins, Kevin Bishop, Zinedine Soualem
Origine : France
Genre : pamphlet populaire
Durée : 1h49
Date de sortie France : 16/03/2011
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Studio Ciné Live (avis contre)
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