EXPOSITION BRUITS
Musée d'ethnographie de Neuchâtel (Suisse)
Du 2 octobre 2010 au 15 septembre
2011
Très intéressante approche que voila.
Comment parler de nos productions sonores par une exposition traitant du... bruit ?
Et tout cela à travers un voyage via les hublots (et les écoutilles ?) du célèbre Nautilus.
Ceci dit, beaucoup de bruit pour rien reste une formule ambigue, et Dieu merci, tout n'est pas bruit en ce Monde, ou en tout cas , tout bruit n'est pas nuisance, qu'on se le dise et se le répète !
PROBLÉMATIQUE
Avec l'exposition Bruits, l'équipe du MEN met en scène la manière dont les sociétés humaines appréhendent leurs productions sonores. Elle invite le public à se frotter aux bruits des autres et à se projeter dans un avenir où la technologie bouleverse les certitudes acquises.
Premier opus d’une trilogie consacrée au patrimoine culturel immatériel dans le cadre d’une recherche conduite avec l’Institut d’ethnologie de l’Université et plusieurs autres instituts helvétiques, l’exposition Bruits questionne la manière à la fois diverse et complexe dont les sociétés humaines appré-hendent, organisent, conservent et mettent en valeur ce qui relève de l’immatériel par excellence, à savoir leurs productions sonores.
Partant de la parenté étroite entre les notions de bruit, de son, de parole et de musique, l’équipe du MEN rend un hommage critique à ceux qui, à travers l’histoire, se sont attelés à articuler ces catégories, à développer leur per-ception, à formuler de nouvelles règles ou à les élargir par une meilleure compréhension des systèmes élaborés dans d’autres cultures. Elle interroge la propension de certains acteurs à tirer la sonnette d’alarme dès que pointent à l’horizon les notions d’évolution, de perte ou d’ oubli. Elle décortique les stratégies, les démarches et les moyens mis en œuvre afin de conserver certains éléments culturels élevés au rang de patrimoine et d’en écarter d’autres. Elle fait enfin ressortir les enjeux contemporains liés aux appropriations, détournements, recyclages et exploitations en tous genres des gisements sonores mis à disposition de chacun par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
A travers une série de tableaux visuels et sonores élaborés à partir de la métaphore du Nautilus, arche intemporelle dédiée à la collection de l’univers sonore, échouée entre plage et désert, entre déluge et apocalypse, l’exposition invite le public à se frotter au bruit des autres, à percevoir le poids de l’immatérialité et à se projeter dans les futurs incertains du patrimoine sonore et de son contrôle à l’heure de l’Internet.
THÉMATIQUES
Le bruit des autres
Utilisé sous nos latitudes pour évoquer les phénomènes acoustiques qui ne relèvent ni de la parole, ni de la musique, le terme «bruit» s’apparente à un outil ordinaire de discrimination esthétique et culturelle: il désigne tout ce qui déplaît à l’auditeur, lui semble trop fort, inattendu ou étranger à ses normes d’écoute. Une telle mise à l’écart est sujette à caution car la perception du beau, de la cohérence, de la proportionnalité, du confort, de l’équilibre et même du supportable varie à travers le temps et l’espace: les bruits d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui et les bruits d’ailleurs ne recouvrent pas ceux d’ici.
La cale du submersible invite à enjamber des caisses d’où filtrent des «bruits», à savoir des sons qui, à une époque donnée et dans un certain contexte, ont été stigmatisés comme bruits ou intégrés comme tels à une pratique musicale.
Les sirènes de l’urgence
Confrontés à la transformation rapide des sociétés qu’ils étudient, les anthropologues ont depuis l’aube de leur discipline appelé à préserver la diversité des pratiques culturelles et à retenir par des mots, des images et des enregistrements la riche palette des sons signifiants émis par les sociétés humaines. Ils ont paradoxalement diagnostiqué la fin de leur objet à mesure qu’ils le portaient à la connaissance du public. Tirant avec d’autres la sonnette d’alarme, ils ont alors proposé une mobilisation d’urgence pour sauvegarder ce qui pouvait l’être et développé des programmes visant à dupliquer les mondes menacés par l’extinction, l’uniformisation ou la transformation.
Dans la salle de contrôle, des écrans veillent sur un monde en danger, donnant l’alerte face à la disparition prochaine d’un chant, d’un rite, d’une langue, d’une pratique instrumentale, d’un répertoire de contes ou d’une technique artisanale. Et à travers le périscope, une vision d’Apocalypse semble leur donner raison.
L’écho des réserves
Les programmes de conservation et de sauvegarde ont abouti à la création d’impressionnantes bases de données qui tendent à se constituer en réseau. Face à l’obsolescence rapide des machines et des supports d’enregistrement, elles sont confrontées à d’incessantes remises en question et à de constants transferts. Elles témoignent à leur manière de la surenchère des techniques et du poids de l’immatérialité.
Que leur attention se porte sur le tangible ou l’intangible, dimensions toujours liées dans le projet ethnographique, les bons samaritains ne réunissent qu’une somme toujours incomplète. Et si les arches patrimoniales qu’ils constituent offrent une alternative à la perte et à l’oubli, elles se résument trop souvent à faciliter le deuil, à entériner le tri et à offrir la jouissance d’un passé idéalisé et schématisé.
En six tableaux, la médiathèque du sous-marin invite à découvrir les collections audiovisuelles du MEN et à mieux cerner l’imbrication de ces patrimoines aussi bien physiques qu’immatériels.
Le glouglou des pipelines
Si la plupart des navires patrimoniaux s’échouent dans la nostalgie, le sentiment de perte et d’impuissance, d’autres acteurs envisagent avec un esprit plus créatif la reconfigu-ration du passé. Les données patiemment réunies par les spécialistes des arts et traditions populaires sont ainsi joyeusement piratées, détournées et intégrées à de nouveaux jeux culturels, économiques et sociaux.
La musique offre une démonstration parlante de ce processus: immatérielle dans son essence, elle s’est retrouvée partiellement réifiée par la science et l’industrie. Aujourd’hui, les anciennes et nouvelles archives accumulées à son propos convergent sur l’Internet. Si elles profitent à quelques pirates, elles nourrissent également une création vibrante qui s’épanouit dans la performance «live» et au sein des festivals, nouveaux piliers de la consommation culturelle.
Des infrastructures improvisées évoquant à la fois la ruine et l’émergence invitent à décrypter une série d’enjeux contemporains structurés autour des tensions entre ici et ailleurs, gratuit et payant, gestion et innovation, contrainte et liberté.