Vive la France quand même (Suite)

Publié le 20 mars 2011 par Egea

J'ai déjà donné une fiche de lecture sur ce livre, j'ajoute quelques extraits que j'avais saisis et qui permettent d'approfondir le sujet

O. Kempf

  • Les atouts de la France dans la mondialisation
  • Rapport Anteios 2011, P. Gauchon et J.-M. Huissoud (dir)
  • PUF, 2010

« La France est hantée par l’idée de déclin », notait Christian Stoffaes, est-il rappelé par P. Gauchon et J.-M. Huissoud dès la première page. Or « on peut noter que le déclin concerne tous les pays occidentaux et que, parmi eux, la France fait plutôt bonne figure » (. 2) au point que le plus grand atout des Français dans la mondialisation pourrait bien être leur peur du déclin (p. 3).

Yves Gervaise interroge, dès le premier chapitre, le territoire français, dans une double démarche à la fois géographique et identitaire, puisque le territoire est un projet, « orienté selon deux axes principaux : la réalisation d’une continuité territoriale à partir d’un territoire central, et l’établissement de frontière solides » (p. 8). Cela permet la construction d’une Nation, fondée sur une identité culturelle et linguistique (p. 9). La France est un carrefour européen (« la France est voisine de tous les grands pays d’Europe », p. 13) avec des contrastes spatiaux autour du Massif central (p. 14), de l’opposition Paris périphérie (p. 15) ou nord-sud, ou est-ouest. En fin, Y. Gervais conclut : « sous l’effet de la construction européenne, de la mondialisation, de l’intensification des mouvements migratoires, le cadre territorial paraît s’affaisser par le fractionnement ‘un côté, par la dilution dans un cadre plus vaste de l’autre » (p. 20).

O. David et JL Suissa interrogent ensuite la notion de puissance française, « toujours analysée en termes d’héritages, que celui-ci soit fructifié (logique capitalistique), géré en bon père de famille (logique rentière) ou dilapidé (par incurie) » (p. 21). S’ensuit une analyse du « soft power à la française », la France ayant longtemps joué le rôle de « chevalier blanc des petites nations » menacées par les grands, du discours de Phnom Penh au discours de M. de Villepin à l’ONU en 2003 (p. 23). Je m’interroge toutefois sur la persistance de cette attitude face à un pragmatisme français dont on voit l’affirmation. Les auteurs évoquent la francophonie, la « tradition d’illusions », le « modèle culturel muséifié, obsolète ou doutant de lui-même » (p. 28) (bons passages) et pose surtout le « véritable enjeu : la capacité à s’adapter et donc à renouveler les héritages » (p. 29). Ainsi, « par rapport à l’évolution des paradigmes de la puissance au cours du siècle écoulé, les Français ont tendance à surestimer le poids des dimensions diplomatiques et idéologico-culturelles au détriment de la dimension économique, souvent vue comme une simple affaire d’intendance et donc souvent subordonnée au politique. L’autre spécificité de l’héritage français tient à ce que le pays n’entend pas seulement tenir un rang mais aussi incarner un modèle à prétention universaliste » (p. 32).

Gérard-François Dumont produit une étude extrêmement fouillée et illustrée sur « le potentiel démographique sous utilisé, » qui fera référence, n’en doutons pas : « un dynamisme relatif dans une Europe en hiver démographique » (p. 36), « l’héritage d’une singulière évolution » (p. 42) fort différente de celle des autres Européens (une position enviable en terme de longévité, une attirance migratoire permanente, un vieillissement incontestable mais limité). Il s’attarde ensuite à la population active, jusqu’à présent en hausse (p. 55) avec la montée du travail féminin, la nature majoritairement tertiaire de cette population active, une productivité remarquable, mais un faible taux d’emploi et un faible emploi des seniors conjugué à un chômage des jeunes très élevé.

PY Cusset et J. Damon évoquent le lien social au travers d’un passionnant « Vivre ensemble en France ». En effet, « c’est la dégradation du lien public qui préoccupe » (p. 77). Revenant sur l’histoire, l’auteur constate que malgré Clovis et Charlemagne, « la conscience de l’unité n’existe guère » avant le XII° siècle (p. 78). « Le XII° siècle marque en effet le moment où la royauté prend conscience que son destin n’est plus seulement dynastique, mais aussi national. Les rois de France imposent leur autorité tant à l’extérieur (…) qu’à l’intérieur ». « A la fin du Moyen Âge, la nation française devient une réalité tangible ». Puis « le modèle républicain de vivre ensemble, dans on épure, repose donc sur un principe de séparation stricte de la sphère publique et de la sphère privée » (p. 79). Les auteurs évoquent ensuite le travail considérable d’homogénéisation culturelle (la langue, l’école) : « c’est encore à l’école qu’incombait de transformer en petits Français les enfants des nouveaux venus. En France en effet, l’immigration a pris de l’importance à parti de la seconde moitié du XIX° siècle ». (p. 82). Or, ce modèle est ébranlé depuis les années 1960, qui marquent « le début d’une seconde phase d’accélération du processus d’individualisation » (p. 83) : « les liens deviennent plus électifs et donc également plus fragiles » ; la famille n’est plus un rouage de l’ordre social, la famille créait des êtres pour la société, elle est devenue un refuge contre la société » (p. 85). Cela mène à la remise en cause du modèle assimilationniste, même si « les performances du modèle français en termes d’assimilation des populations d’origine immigrée ne sont pas aussi détériorées que ce qu’on affirme parfois, en tout cas moins que dans la plupart de nos voisins » (p. 85). Ainsi, « les musulmans français sont significativement plus nombreux (42%) à se définir par leur nationalité que par leur religion, que leurs coreligionnaires britanniques (7%), espagnols (3%) ou allemands (13%) » (p. 86). « Néanmoins, l’émergence de la logique d’expressivité met à mal les fondements du modèle assimilationniste à la française. Cette logique contient en effet les germes d’une demande accrue de reconnaissance, dans la sphère publique, des appartenances et identités autres que nationale » (p. 87). « Dans ces conditions, même si un processus d’assimilation est toujours à l’œuvre, il semble fonctionner moins bien et il n’est pas certain qu’il fonctionne dans un proche avenir » (p. 88). « Les rancœurs peuvent être profondes. (…) Ces attitudes de rejet et de replis sont étroitement liées au phénomène de ségrégation résidentielle et scolaire. Il est en effet difficile d’appeler à la mixité sociale (beaucoup pensent en fait « ethnique ») tout en refusant d’imposer une exigence d’assimilation culturelle » (p. 89). C’est qu’on en sait un peu plus sur les phénomènes de ségrégation, comme l’expliquent les chiffres exposés (p. 90). Malgré cela, bien que sous tension, le « modèle social » est toujours célébré.

O. Kempf