Le livre du jour - Johan Theorin, Le sang des pierres

Par Benard

Une île farouche à l’est de la Suède. Une longue langue de terre étroite reliée au continent par un unique pont engendrant la Mer Baltique.

Sensation de bout du monde : l’île au rude climat hivernal sort de son engourdissement et se repeuple progressivement au printemps. La lumière qui baigne cette terre aride est d’un éclat particulier, d’un rayonnement cristallin. La nature s’échauffe, la lande s’assèche et se couvre de fleurs au pied des pierres levées. Nous sommes à quelques jours de la nuit de la Walpurgis, vous savez, celle du sabbat des sorcières du Faust de Goethe.

Cette date traditionnelle qui marque le retour des beaux jours du mois de mai annonce aussi la saison des touristes et des Suédois du continent qui reviennent dans leur villégiature insulaire. Sur la seule route qui longe le littoral, quelques grosses cylindrées font leur apparition, observées froidement par les rares habitants à l’année attachés viscéralement à leur île et à ses légendes. On ne vit pas sur Öland sans être à jamais imprégné de son climat doux et merveilleux, austère et silencieux.

Dans ces paysages indomptés évoquant la présence de personnages merveilleux, de pensées magiques et autres éléments surnaturels, Johan Theorin prend son temps pour nous raconter des histoires de famille, des histoires de couples, des histoires intimes et personnelles qui fatalement sur cette petite île sauvage résonnent entre elles et finissent par s’entortiller les unes aux autres dans un lacis de destinées ordinaires mais tragiques.

Peu à peu le charme opère en suivant ce récit qui déploie ses nombreuses pistes au rythme imposé par le réveil languissant d’une nature insoumise, mêlant la tendresse malmenée de l’enfance, la rudesse de l’âge adulte, la solitude et la maladie, l’appât du gain et l’industrie du sexe, la violence et la mort, les espoirs déçus et les croyances ancestrales.

La véritable héroïne du livre, et c’est coutumier chez Theorin, c’est cette île d’Öland qui porte en elle le besoin de communion avec la nature, l’angoisse de la solitude, le sentiment de sourde mélancolie et la fascination du merveilleux communément partagés dans la culture de l’Europe du Nord. Saisissante évocation d’une terre isolée entre ciel et mer, suspendue entre vent léger et profondeur minérale, hésitant entre hostilité et bienveillance.

Un voyage aussi rafraîchissant que dépaysant.

Le sang des pierres (« Blodläge », 2010), de Johan Theorin, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, éditions Albin Michel, 10 mars 2011, 425 pagesISBN 9782226-220608 / 20 €

Source : http://www.laruellebleue.com/5985/le-sang-des-pierres-johan-theorin-albin-michel/