L'album sort le jour du printemps. C'est un grand évènement dans mon quotidien maussade. "First Impressions of Earth" était sorti alors que j'entrais à peine au lycée. "Angles" paraît alors que ma scolarité est terminée. Oui, c'est un grand évènement, un signe. Et la bonne nouvelle, c'est que mon amour pour le groupe, mon groupe de jeunesse, est toujours aussi puissant. J'ai suivi de très près le moindre signe de vie des Strokes, j'ai adoré chacune de leur publication solo et quand l'attente était vraiment trop longue, je m'imaginais que "Phrazes For The Young", l'album de Casablancas, était le quatrième opus du groupe. Alors quand le nouveau single est tombé il y a un mois, j'ai explosé de joie.
"Under Cover of Darkness", c'est un tube imparable, un mélange de fureur et de décontraction qui est la marque de fabrique des Strokes. Il suffit de regarder le clip, avec un Casablancas qui boude, puis s'agite, puis soupire, puis gueule dans son micro. Et les autres qui se déchaînent à l'arrière plan pour mener la chanson à bien, lui faire tenir la route. C'est tout un symbole, celui d'un groupe qui va mal, où le chanteur ne se sent plus concerné et demande à ce qu'on lui envoie les bandes à domicile pour qu'il pose sa voix loin de ses camarades, enfermés dans un studio californien. Cette ambiance triste n'empêche pas le single d'être une totale réussite. Avec un texte explicite où Casablancas nous fait part comme d'habitude de son dégoût des autres et de son envie de révolte. "Under Cover of Darkness", c'est "nous revoilà, on a changés, mais on a une putain de chanson pour nous faire pardonner". Je l'ai déjà écouté un millier de fois, je ne m'en lasse pas et j'ai des frissons à chaque fois que Julian gueule "Are you okay ?". Sauf qu'il s'agit d'un single trompeur, d'un leurre qui n'annonce en rien la couleur de l'album.
Forcément, avec cinq types qui regardent pas du même côté, on a un résultat pas très homogène, limite inégal, voire inconsistant si on l'écoute d'une oreille distraite. Mais si l'on aime le groupe, il est forcément intéressant et ces dix chansons ne mettent pas si longtemps à convaincre. On est loin du retour aux sources promis et le son de l'album est plus dans la lignée de l'essai solo de Casablancas. Des synthés et une ambiance eighties rétro accompagnent la voix que l'on connaît bien et les guitares qui résonnent de manière si familières. Il est encore tôt pour émettre un jugement définitif sur la qualité de l'album, mais je suis déjà conquis. Ce n'était pourtant pas gagné. Comme pour la pochette flashy, on est perplexe au premier coup d'oeil avant d'y trouver un certain charme, une atmosphère coloré.
Le bal s'ouvre sur "Machu Picchu", avec des percussions et des bongos qui habillent de manière surprenante un rock énergique qui nous remet immédiatement dans le bain. Puis c'est le single, donc on a d'entrée de jeu un bon sentiment et beaucoup d'enthousiasme. "Two Kinds of Happiness" et "Taken For A Fool" sont deux morceaux efficaces, remplis de changements de rythme affolants, avec un Casablancas qui donne du sien et des riffs qui restent immédiatement en tête. On est en terrain connu et c'est plutôt jouissif. Les choses deviennent plus floues par la suite et il est certain que l'enchaînement "Games"/"Call Me Back" ne plairai pas à tout le monde. On y retrouve toute la mélancolie du leader des Strokes à travers deux complaintes désabusés, où l'univers est vide et tout est artificiel. Pourtant, ce n'est pas du toc, il y a une vraie émotion et toute la réussite de ces morceaux réside dans la voix de Casablancas. Si on aime pas son organe ou qu'on le trouve insipide, mieux vaut passer. Sinon, c'est vraiment hypnotisant, et les expérimentations du groupe en arrière fond ne sont pas vaines, elles donnent une nouvelle dimension aux Strokes, comme c'était le cas avec des morceaux comme "Ize Of the World" ou "Ask Me Anything" sur l'album précédent. Une dimension que j'affectionne et déjà je reprend en coeur les gémissements d'un chanteur mal dans sa peau et malade des autres. "Gratisfaction", c'est du Strokes léger, estival, avec une rythmique couillonne qui t'oblige à taper du pied. Rien de nouveau mais c'est appréciable de voir que la vieille formule fonctionne toujours. C'est une ballade qui conclut un album bien trop court, une ballade lancinante, élégante, qui aurait été quasi-parfaite sans le break maladroit qui l'alourdit à deux reprises.
Les deux morceaux les plus faibles sont "You're So Right" et "Metabolism", froides et répétitives, qui manquent de fièvre et d'énergie. Mais je suis pourtant certain qu'elles finiront par me convaincre. Les chansons que j'écoutent en boucle aujourd'hui m'auront peut-être fatigué dans quelques mois et celles qui me laissent perplexes deviendront sans doute mes favorites. C'était le cas avec l'album précédent. Celui-ci n'a pas la même profondeur, pas la même ambition, mais il reste un beau retour. L'attente a peut-être été trop longue pour ne pas qu'on en veuille plus. Et on a raison d'en vouloir plus, on sait que le groupe est capable de mieux. Mais il y a plein de bonnes intentions. Plein de trouvailles. Il faut remercier Nick Valensi pour de beaux solos, Albert Hammond Jr qui a su donner de l'énergie là où certains morceaux auraient pu s'écrouler, Fab Moretti qui tient les clés de la décontraction et fait souffler la même fraîcheur sur "Call Me Back" qu'avec son groupe Little Joy et Nikolaï Fraiture qui arrondit les angles avec toujours la même discrétion. Et puis Julian, tu n'a jamais chanté aussi bien.
Alors même si c'est le dernier effort des new-yorkais, on est loin d'un coup de fatigue. Il s'agit juste d'une tentative parfois flamboyante parfois maladroite de conclure dix ans de succès largement mérités.