[IL SEMBLE QU'UN NAVIRE...]
Il semble qu’un navire autre que tous les autres
devra, l’heure venue, se montrer sur la mer.
Il n’est pas en acier. Ses pavillons
ne sont pas orangés :
nul ne sait d’où il vient
ni à quelle heure on le verra :
mais tout est prêt
et il n’est de plus beau salon dressé
pour ce fugace événement.
L’écume est déployée
comme un luxueux tapis
tout d’étoiles tissé,
et plus loin c’est le bleu,
le vert, le mouvement ultra-marin,
l’attente générale.
Et les rochers, ouverts,
lavés, nets, éternels,
ont été disposés
sur le sable comme un cordon
de châteaux, un cordon de tours.
Tout
est prêt,
on a invité le silence,
et les hommes eux-mêmes, toujours distraits,
espèrent bien ne point perdre cette présence :
ils se sont habillés comme pour un dimanche,
ils ont fait briller leurs souliers,
ils ont passé le peigne en leurs cheveux.
Ils ont vieilli, ils ont vieilli,
et le bateau n’arrive toujours pas.
(Pablo Neruda)