Le caricaturiste Albert Dubout aurait croqué l’époque sans déceler de changement dans le comportement des gens du XXIe siècle. Les entassements de braillards difformes sévissent toujours, la jungle surpeuplée des soldes commerciales qui implique d’écraser l’autre pour remplir au mieux son panier n’a pas varié d’un iota, les couples improbables, mal associés, franchement disgracieux, qui s’étripent sur l’air de l’union singée ont toujours droit de cité… Suivons à la loupe ces foules comme autant d’individualités, mais sans espérer d’individualisation des attitudes : ça gueule uniformément dans une obscénité des trognes.Son penchant pour les chats le rapproche de son aîné Léautaud, mais pas seulement : la sévérité de son trait complète le cynisme des lignes du bourru de Fontenay. Un pot commun de misanthropie distillée par une gouaille vivifiante. Moquons-nous, c’est grave ! reprennent-ils en chœur.En 1940, pour capter l’ambiance sociale à l’amorce d’un nouvel affrontement franco-allemand, Dubout saisit une pleine page de situations quotidiennes à la sauce ypérite : chacun doit porter la tenue protectrice contre le gaz moutarde qui pourrait frapper au cœur des villes. La débâcle discréditera ce scénario, mais l’artiste avait génialement capté l’hystérie collective qui accompagne toute menace colportée par les médias et la rumeur publique.Ainsi le digne Japon, et ses catastrophes cumulées, souligne la fragilité de notre civilisation confortable grâce aux apports des risques technologiques. Une ambivalence que l’on doit assumer sauf à pratiquer l’hypocrite posture d’un Etat qui rejetterait le nucléaire civil tout en important de l’électricité nucléarisée des nations qui assument le danger inhérent à cette forme de production.Alors quoi ? Va-t-on décréter le confinement idéologique de toute prise de risques ? Que l’on améliore sans cesse les protocoles pour la sécurité, mille fois oui ! mais pourquoi fantasmer sur une sortie du nucléaire alors qu’aucun pays n’est autosuffisant en électricité produite par des énergies renouvelables…Une centrale fermée, c’est mille éoliennes à déployer sur le territoire… avec la réticence des grincheux ruraux qui s’érige dès qu’on ose la « pollution visuelle » de leur coin de paradis. Les « imbéciles heureux qui sont nés quelque part », définitivement ridiculisés par Brassens, encombrent encore nos contrées. Les mêmes beugleront si jamais l’une des centrales se grippe, celle-là même qui les aura dispensés de ces étendues de poteaux à hélices.Il vaut donc mieux partir d’un rire magistral par quelques fresques cathartiques à la Dubout où chacun reconnaîtra la vilenie du voisin, sentant confusément qu’il n’est pas épargné par le cirque permanent de nos sociétés débordantes de tout et insatisfaites de tout.