Lady Doll 1.La Poupée intime

Publié le 20 mars 2011 par Lael69
Daniele Vessella (Scénario)
Beatrice Penco Sechi (Dessin et couleur)
Soleil Productions
Collection Blackberry
Traduction de Chantal Paluszek
Paru en Juin 2010
47 pages
12,90 euros


BD Tout Public


"Gaja tu ne parles qu'à tes poupées. Gaja, ton visage te vaut d'être rejetée du monde, des autres enfants comme de ton père. La seule personne à pouvoir te comprendre Gaja, c'est moi, ta mère. Moi qui peuple ton univers de jouets pour tromper la solitude, moi qui sens ma santé décliner au fil des jours. Gaja, ma pauvre enfant perdue, sans moi que deviendras-tu ? "

Gaja est une petite fille bien malheureuse. Sa maman est gravement malade et son père la rejette à cause de sa déformation faciale. Gaja est une enfant gentille, réservée et esseulée. Sa différence physique, un côté du visage déformé lui vaut les moqueries, les méchancetés de ses camarades. On la traite comme un monstre : on l'exclue, on la maltraite psychologiquement...Si bien que Gaja se réfugie dans un univers imaginaire où les poupées sont ses seules amies. Entourée, protégée, choyée, elle leur parle avec amitié, complicité et refoule les êtres humains, notamment sa gouvernante qui essaye de l'intégrer à la société. Mais le contact avec les autres est difficile et Gaja se renferme encore plus, ne communiquant uniquement qu'avec ses poupées, devenant méchante et agressive avec ses semblables.
J'ai tout aimé dans cette bande dessinée. Le scénario est pertinent par sa tonalité dramatique et intensément psychologique. L'histoire de cette petite fille a de multiples résonances : comment le regard d'autrui et de sa famille sur soi peut provoquer des ravages intérieurs ? Le thème de l'ami imaginaire qui prend ici l'apparence de poupée intime est évoqué avec profondeur et une sensibilité acerbe. Cette bande dessinée est dure, sombre et montre le chaos psychologique d'un enfant qui refuse de se montrer et perd son identité. Gaja ne communique plus avec des vraies personnes et la mort tragique de sa mère accentue son marginalisme. Elle se replie sur elle-même et s'identifie à une relation conçue sur l'imagination. Troubles de l'enfance, troubles de la personnalité et souffrance psychologique sont les thèmes difficiles de cette BD. Le personnage du père est aussi très intéressant et bien fouillé : l'histoire d'un homme pauvre dont l'avarice et la gourmandise dessèchent son âme et le rend immonde. Un arriviste qui n'hésite pas à empoisonner sa femme pour qu'elle meurt plus vite. Ses actes n'en deviennent que plus mauvais et d'une horreur infinie. La différence de Gaja semble être liée à la personnalité de ce père absent et dégoûtant. Il n'est que cruauté, sournoiserie et il inspire mépris et rejet. Tout comme Gaja qui a hérité d'un physique à l'image de l'âme de son père...
Côté illustrations, le travail est hors du commun et en harmonie parfaite avec la sévérité du scénario. On reconnaît un style baroque, très appuyé et marqué par des traits francs, secs et des couleurs criardes et visuellement très accrocheuses, qui percutent et interpellent le lecteur. Cela révèle le côté sinistre voire macabre de Lady Doll. Le graphisme de cet artiste italienne est unique, assez original par ces expressions corporelles bizarres, tantôt caricaturales tantôt grotesques mais qui n'a rien de repoussant. Les dessins se sont imprégnés de cette ambiance grave et funeste. On assiste à la mort de l'innocence, au naufrage psychologique d'une enfant et pourtant il y a ce fort contraste entre laideur et fantaisie. Fantaisie d'un monde crée pour une enfant pour l'aider, un monde de poupées originales, un monde imaginaire qui est devenu une réalité alternative... J'attends la suite avec une certaine impatience car Lady Doll est une BD qui ne souffre d'aucune lacunes et qui ne manque pas de réflexion...
Lu dans le cadre duChallenge WOMEN BD organisé par Theoma.