Jusqu'ici, les types de risques avaient toujours été découplés, distincts. Le tremblement de terre d'Haïti avait mis bas des milliers d'habitations, avait tué, et avait obligé des centaines de milliers d'Haïtiens à survivre dans des habitas de fortune. A Tchernobyl, le nucléaire n'avait pas explosé comme une bombe, mais diffusé ses radiations dans un très grand périmètre, surtout porté par les vents. Les Japonais viennent de subir une synthèse inédite. Du tremblement de terre, ils ne pouvaient rien faire, opposer, si ce n'est que les Japonais ont su créer des normes parasismiques efficaces qui permettent à des milliers d'immeubles d'encaisser des pressions très fortes sans s'écrouler. Du Tsunami, ils ne pouvaient rien opposer, alors qu'ils ont mondialement baptisé ce phénomène, car, comme tant d'autres, la littoralisation des populations place au plus près du risque celles-ci, et qu'ils n'avaient jamais eu à subir à l'époque moderne un tsunami de cet ampleur. C'est désormais chose faite, et par sa mortelle action, il met en cause cet habitat humain si près de l'Océan, alors que la zone est connue pour sa vie sismique et pour son risque d'un tremblement de terre majeur, avec un tsunami qui le sera tout autant. Car le malheur japonais n'est peut-être pas complet. Un nouveau tremblement de terre de cette puissance ou supérieure peut sévir prochainement, ou même dans 50 ans, ou dans deux cent ans, mais si l'habitat japonais reste, sur le littoral, à la hauteur des vagues... Mais voilà : alors que les Japonais savaient et savent qu'ils vivent dans une région planétaire parmi les plus vivantes, les plus telluriques, leurs dirigeants ont fait le choix, sous l'influence de celles et ceux qui sont financièrement intéressés par, de l'énergie nucléaire. Et ce qui était seulement une tragédie dans le cadre des "risques naturels" est devenu aussi une tragédie dans le cadre des "risques artificiels", industriels. Et si les habitations détruites se reconstruisent, si les ressources humaines et économiques du Japon sont telles que le Japon des prochaines années devrait connaître une croissance exceptionnelle, les radiations nucléaires ne s'effaçent pas. La contamination d'une zone est... "durable", contrairement à la politique énergétique de ce pays comme de la France aujourd'hui. Or, même si les Japonais ont su faire des progrès considérables dans la compréhension des phénomènes sismiques et dans les techniques de construction qui permettent d'encaisser les pressions que les tremblements de terre provoquent, il est frappant de constater que les Japonais, pourtant confrontés à une Terre si exigeante et dure, n'ont pas su faire des choix qui contredisent la pente naturelle de la facilité : s'installer en bord d'océan, produire une énergie abondante à partir d'une matière première dangereuse. Le Japon si autoritaire (de ces 50 dernières années, du "management" des entreprises n'a pas été capable d'une planification guidée par les intérêts collectifs et a "laissé faire". Les dégâts et les pertes d'aujourd'hui sont encore la conséquence du laisser-faire, ce principe de la philosophie politique de l'intérêt privé. Et c'est toute la planète qui paye les frais de ce genre de choix et de culte. Certains rétorqueront que le fait que le premier accident grave ait eu lieu à Tchernobyl sur une centrale nucléaire construite et géré par des experts de l'URSS prouveraient que ce n'est pas l'intérêt privé qui est à la source du problème général des centrales, mais serait, dans le cas japonais, une terrible fatalité, et dans le cas soviétique, une incurie technique. Or, "En 1985, l’Union soviétique dispose de 46 réacteurs nucléaires alors en fonctionnement dans le pays, dont une quinzaine d’exemplaires de type RBMK 1000 d'une puissance électrique de 1000 mégawatts chacun. À cette époque, la part du nucléaire en Union soviétique représente environ 10% de l'électricité produite, et la centrale de Tchernobyl fournit 10% de l'électricité en Ukraine." Toutes ces centrales ont fonctionné. L'accident de Tchernobyl est la conséquence d'une perte de conscience des responsables locaux quant à leurs responsabilités : "L'accident s'est alors produit suite à une série d'erreurs commises par les techniciens de la centrale en supprimant volontairement plusieurs sécurités. Les opérateurs ont notamment violé des procédures garantissant la sécurité du réacteur et donc de la centrale." Etant donné son extrême danger, une centrale nucléaire ne peut être prise en otage par des ingénieurs pour "faire des tests", et cette perte de conscience du sens de l'intérêt général s'est payé très cher. A Tchernobyl, l'accident a été le fruit d'une perte de conscience. Au Japon, à Fukushima, l'accident est la conséquence d'une arrogance humaine, fondée sur des "mesures de sécurité" draconiennes que les experts ont jugé suffisantes. Nous savons maintenant ce qu'il en est. Il est stupéfiant de constater que ce sont les défenseurs de l'énergie nucléaire qui mettent en cause celles et ceux qui interrogent et le droit et les conséquences et les alternatives, alors que ces défenseurs de l'énergie nucléaire sont co-responsables de ces tragédies.