“Le séisme a changé l’axe de rotation de la Terre !”. Cette semaine, cette information émanant d’un centre de recherches italien a été reprise un peu partout après que la Terre a tremblé à Sendai, au Japon avec les conséquences que l’on sait. Comme à chaque séisme majeur.
Un phénomène théorique. En toute rigueur, pourtant, rien ne permet encore d’affirmer quoi que ce soit. Car en réalité, comme nous le confirme Christian Bizouard, responsable du Service de la rotation de la Terre à l’Observatoire de Paris, “personne n’a encore jamais mesuré de déplacement de l’axe terrestre dû à un séisme”.
A l’heure actuelle, en effet, “le phénomène reste purement théorique”. Et les rédactions sont sans doute allées un peu vite en besogne, estime Christian Bizouard.
“Soyons clair : un séisme n’a pas d’effet immédiat sur l’axe de rotation. La théorie prévoit un effet progressif, qui atteindrait un déplacement maximum du pôle de rotation de 14 centimètres au bout de sept mois”
Pourtant, le déplacement brutal de masses considérables dû au séisme a vraisemblablement modifié quelque chose. A savoir l’axe d’inertie de la Terre. Mais nous parlons bien de théorie…
Rotation et inertie. Axe de rotation, axe d’inertie… il y a effectivement de quoi perdre le nord. Qui a déjà vu un globe tourner sur son axe incliné est familier avec la notion d’axe de rotation : les deux points où cet axe coupe la surface du globe étant ses pôles de rotation.
Concept mécanique plus abstrait, l’axe d’inertie dépend pour sa part de la répartition des masses dans notre planète. Si la Terre était un corps homogène, cet axe d’inertie serait confondu avec l’axe de symétrie. Mais voilà, la Terre n’est pas homogène : les marées, les mouvements océaniques et les déplacements de masses atmosphériques modifient en permanence son profil, de façon considérable (et observable). Et les mouvements tectoniques également.
Le centre de gravité (par lequel passe l’axe d’inertie) est ainsi constamment “en mouvement”. La masse des glaciers en Antarctique joue aussi son petit rôle ! Tout déplacement de masse, dans le globe, déplace simultanément l’axe d’inertie. A fortiori, théoriquement, ceux conséquents à un séisme.
Un phénomène continu. Au fil du temps, les modifications permanentes de l’axe d’inertie induisent de lents basculements de la croûte terrestre et de son axe de rotation. Il s’agit là d’un phénomène continu, mesuré, qui ne justifie généralement pas les gros titres des magazines. A l’échelle d’une journée, l’axe de rotation bascule de 2 à 6 millisecondes de degré – soit un déplacement du pôle de rotation de 6 à 20 cm.
Ci-dessus : mouvement de l’axe de rotation terrestre sur une année. La graduation en milliseconde
de degré (mas), soit 1/3 600 000 de degré. La variation correspondante du pôle de rotation est de
l’ordre de 3 cm par mas
Une influence observable ? La question reste alors de savoir si un déplacement de masse dû au tremblement de terre japonais aurait une influence observable, dans sept mois, sur l’axe de rotation terrestre.
“Il faut bien comprendre que les différentes causes du déplacement progressif de l’axe de rotation sont concurrentes. L’effet théorique du tremblement de terre japonais sera mêlé avec ceux des déplacements atmosphériques et océaniques, qui sont beaucoup plus importants durant la même période.”
Après modélisation, on évalue ainsi que le déplacement du pôle d’inertie terrestre imputable à l’atmosphère et aux océans est de l’ordre de 20 à 30 centimètres par jour. La théorie établit que le séisme japonais a pu provoquer un déplacement - brutal - du pôle d’inertie d’un peu moins de 15 centimètres… Mais “on voit que l’effet serait du même ordre de grandeur, mais il ne dure qu’un instant. La variation due aux autres facteurs est, elle, continue dans le temps”.
Ainsi, le phénomène courant peut facilement masquer le phénomène exceptionnel, les déplacements
atmosphériques et océaniques correspondant à près de 80 % les déplacements observés du pôle d’inertie. “Si un décalage apparaît à la date du 11 mars 2011, il pourrait correspondre au déplacement théorique. Mais compte tenue de la précision des mesures, et malgré la magnitude du séisme, je doute que l’on observe quelque chose”, conclut le chercheur.
De fait, nous pouvons déjà répondre à la question posée en titre. Pour l’heure, non, le séisme japonais n’a pas modifié le profil de l’axe d’inertie. Et si la théorie prévoit un effet, à terme, cet effet sera de façon bien peu de chose face aux effets prédominants des mouvements atmosphériques et océaniques.
Valdivia. Néanmoins, le séisme japonais est plus propice que jamais à l’observation du phénomène théorique d’un déplacement consécutif de l’axe d’inertie. En effet, à magnitude sismique égale, “le déplacement théorique du centre d’inertie a une amplitude différente en fonction de la latitude et de la direction dans laquelle les mouvements de masse ont eu lieu. A une latitude équatoriale, comme ce fut le cas à Sumatra en 2004, l’effet théorique est faible”.
Ainsi, le déplacement théorique du pôle d’inertie a-t-il été estimé à seulement 2 centimètres pour Sumatra, contre 8 pour le Chili, alors que la magnitude du premier fut bien supérieure à celle du second. “L’idéal”, si l’on peut dire, aurait été de mesurer les effets du séisme de Valdivia, au Chil. Il était de magnitude 9.5, la plus grande jamais enregistrée, rappelle Christian Bizouard :
“A Valdivia, le déplacement du pôle d’inertie fut théoriquement de 1 mètre. Cela correspond à un déplacement de l’axe d’inertie d’environ 30 millisecondes de degré, ce qui est supérieur à l’incertitude des modèles hydrométéorologiques. Si nous avions alors disposé de la puissance de calcul actuelle nous aurions très certainement pu mesurer ce déplacement.”
Confirmation des modèles. Reste que rechercher la trace d’une modification de l’axe d’inertie imputable à un séisme fait sens. Ce phénomène existe théoriquement, et l’observer offrirait une confirmation à grande échelle des théorèmes de la mécanique tel que le théorème du moment cinétique. “La modélisation de l’axe d’inertie nous permet aussi d’affiner notre connaissance sur l’intérieur de la Terre, ses propriétés d’élasticité, les dimensions du noyau, son aplatissement, etc.”, précise Christian Brizouard.
Pour sa part, l’étude des irrégularités de l’axe de rotation de la Terre sert de façon plus pragmatique à corriger les modèles qui servent aux positionnements GPS. Et l’erreur ne serait pas anodine, conclut M. Brizouard : “Si l’on ne prenait pas en compte ces irrégularités, au bout de sept mois, on commettrait une erreur d’environ 20 mètres dans la géo-localisation.”
En quêtes de sciences, avec Florian Gouthière
Photos : AP/Keichi Nakane etObservatoire de Paris / Service de la Rotation de la Terre
Demain (ou après demain), nous publierons un complément d’enquête (de sciences), concluant notre
entretien avec Christian Bizouard, sur la question souvent évoquée (ici y compris) de la modification de la
durée du jour par les séismes.