Malgré l’argument de départ, Bakou, derniers jours n’a rien de dramatique. Bien au contraire, on y rit souvent. Olivier Rolin joue avec l’idée de ce suicide sans faire semblant d’y croire. Il l’envisage comme une issue romanesque à un voyage paresseux, au cours duquel il se laisse happer par des rencontres, des images, des souvenirs. Ses pensées sont souvent vagues. Des réflexions lui viennent en marchant «comme sans y penser, ou plutôt au gré de ce soliloque intérieur que se tiennent les marcheurs, et qui est à la pensée ce que le grommellement est à la parole éloquente.» Les pages s’accumulent, bric-à-brac sans grande organisation qui pousse l’auteur à s’interroger sur ce qu’il est en train d’écrire: «ce récit que j’écris, que vous lisez, à quoi ça rime? Et d’abord, qu’est-ce que c’est? Un journal de voyage, des lambeaux de souvenirs mal cousus entre eux, un testament? «Un livre sur rien», presque sans sujet, ou dont le sujet reste presque invisible, comme le rêvait Flaubert (mais alors, il faudrait qu’il tienne «par la force interne de son style», et ce serait évidemment présumer de mes forces)? C’est une promenade sur un fil. Un monologue à basse voix, pour des oreilles patientes, attentives. Une lettre à des amis, connus et inconnus.»
On voudrait tout citer, tout partager de ce livre, tant le bonheur de s’y trouver est grand. L’écriture fait des vagues, bat comme la Caspienne – une mer? un lac? s’interroge le narrateur, vaguement, bien sûr. Des lectures arrivent en écho. Maeterlinck, Verhaeren et Pierre Mertens passent par là. Des histoires du passé surgissent, qui contiennent, pour plusieurs d’entre elles, la matière de romans. L’espion disparu qui resurgit beaucoup plus tard, par exemple. Ou Une nuit d’amour de Charles de Gaulle, inventant la brève liaison du général avec une chanteuse lyrique après l’opéra auquel il assista à Bakou.
Olivier Rolin ne développe guère, laissant au lecteur le soin d’imaginer la suite. Comme les chats qu’il observe, il est économe de ses mouvements. Mais «ils ont l’air de savoir ce qu’ils font ici, eux» – au contraire de lui. Économe des quelques mots qu’il connaît en russe, aussi, dont il range les plus jolis dans son «petit tiroir à mots agréables». Économe de descriptions qu’il expédie en quelques lignes – et quelles lignes! Mais il n’est pas avare des doutes et des questions qui relancent sans cesse son récit.
Bakou, derniers jours est un ouvrage qui échappe à toute définition simpliste. Et qui marquera longtemps les esprits. Il est difficile de se sentir plus vivant qu’en lisant l’histoire de cette mort annoncée et manquée – tant mieux pour les prochains livres d’Olivier Rolin.
(Article à paraître dans le prochain numéro de C'est dans la poche.)