Est-ce par ce que je me suis « spécialiste » du XVIII siècle français que j’attache une rigueur particulière à la définition précise des termes ? Pas seulement, mais comme Boileau, je pense que « ce qui se conçoit clairement, s’énonce clairement »
Les moments que nous traversons sont historiques, le Maroc s’ébroue et semble sortir, poussé gentiment, mais fermement et sans concession de sa torpeur par les jeunes. Même si on oublie de les en remercier, après les avoir redoutés comme des « barbares » (terme de Chateaubriand évoquant la classe ouvrière française naissante de son époque) funestes pour certains courtisans timorés…. Qui se sont trouvés comiquement mais formidablement lâchés dans le Discours ambitieux et résolument moderne du 9Mars:
En effet, l’Histoire a le pouvoir de faire réfléchir : Ce n’est pas nouveau et c’est ce que vient de faire magistralement Sa Majesté avec le discours du 9Mars !
Je pense à un ami Chinois, Zhang Ze Lian , de l’université de Baida ,historien chercheur et spécialiste du XVIII siècle Français .Il avait suffisamment travaillé la question pour affirmer que si le Japon avait gardé son empereur c’est que ses intellectuels et ses historiens avaient observé leur pays à l’aune de 1789 :L’empereur fit les transformations nécessaires et conserva son trône ;La Chine, refusait , elle, de tirer les leçons de la révolution française, d’autant que la France avait été, était le colonisateur : « Nous avons eu 1949 ! » me disait mon vieil ami
Méconnaitre les valeurs profondes et réelles de la jeunesse, la vraie, celle du Maroc agricole, du Maroc ouvrier, chômeur, me fait penser à l’attitude des courtisans de Louis XVI, arque boutés sur et agrippés à leurs privilèges : A force de trop vouloir garder, ils perdirent tout, voire leur vie ! Ils ne rendaient service à personne, ni à eux, ni à leur avenir, ni surtout à Leur Souverain, qu’ils n’éclairaient absolument pas ! « Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami; mieux vaudrait un sage ennemi. » Disait déjà La Fontaine
Dieu Merci, le Maroc donne l’impression d’avoir enfin tourné résolument le dos à cet état d’esprit !
Un terme , très historique, celui de « citoyen »m’interpelle dans l’usage qu’on en fait .
Son sens est il universel, ne peut il être qu’universel ou peut-on, sans le dénaturer, lui donner une spécificité nationale ?
Je m’étais posée la question en 2009, m’étonnant déjà qu’on pût désigner ses compatriotes en disant « citoyens, citoyennes»
Ce mot est intimement lié à la démocratie(démos= le peuple), d’abord grecque, dans l’agora, où publiquement, au cours de débats houleux, les membres de la cité (citoyens) s’invitaient à débattre ensemble pour surmonter les difficultés : En grec, agora veut dire « prendre la parole », une parole libérée et libre :
Diderot, D’Alembert, au XVIII donneront dans l’ »Encyclopédie », la définition de ce terme grandiose de citoyen « C’est celui qui est membre d’une société libre de plusieurs familles, qui partage les droits de cette société et qui jouit de ses franchises » (franc=libre)
Relevons les termes de « partage » et de « franchise/libertés » ; Qui dit partage dit égalité des droits entre tous qui signifie « uni et juste »
Mais alors qu’est ce que l’égalité ?
Difficile et longue réflexion qu’on ne peut mener en quelques lignes. L’origine de ce terme énonce que les hommes doivent être traités de la même façon L’égalité morale porte sur le respect, la dignité, l’égalité politique est revendiquée par rapport au gouvernement, l’égalité civique est la fin des privilèges, officiels ou officieux
Et le citoyen ?
C’est celui qui participe du lien social , en accord avec les principes d’égalité , de justice et de respect :Il a des droits, celui de la protection par l’Etat(avec tout ce que cela implique …), mais aussi des devoirs(ce qu’on oublie dans la France actuelle déliquescente) ; La révolution française va le préférer à celui de « sujet » qui suggère une soumission. Elle instaure ainsi, simultanément à l’idée de liberté, la notion d’égalité avec l’abolition des privilèges la nuit du 4 Août (engendrant l’idée de fraternité)
Tel que je le constate, l’emploi de« Citoyen » me semblerait plus être adjectival que le nominatif : Or cette adjectivisation du nom « citoyen » ne date que de1989, lors de la commémoration du bicentenaire de la Révolution de 1789.
L’adjectif a –t-il gardé le sens du nom ?
Non, à mon avis : Tout mot français trop galvaudé s’use!(c’est le propre de la langue de s’affaiblir : Il est parfois nécessaire, pour retrouver la force du terme, de revenir à son étymologie, (exemple : « étonné » fut au XVII très fort puisque signifiant être frappé par le tonnerre) : La propagande à laquelle affectaient de se soumettre docilement, singeant les manières démocratiques, même les grands du Royaume, donna à Louis-Philippe (1830-1848) le titre de« Rois citoyen;
« Citoyen » donc ’est devenu un synonyme de “ militant ”, “ engagé ”. Son emploi dans le contexte marocain sert alors de signe de reconnaissance à tous ceux qui cherchent à réparer à la fois la panne des partis politiques et leurs défaillances ;
« Citoyen: »doit-il être redéfini ? Est-il cet individu moral, engagé dans la société marocaine avec le souci du bien commun (Les philosophes du XVIII évoquaient le citoyen du monde!) ? Et dans ce cas, quel est le rapport entre « citoyen » et « droits » ? La question est d’importance
Une dernière remarque sur cet adjectif « citoyen » employé, tant en France qu’au Maroc d’ailleurs :Le « membre d’une communauté politique organisée » disparaît peu à peu au profit du « soumis »
Si le nom est devenu désuet, c’est peut-être que les citoyens ont perdu toute raison d’être, étant peu à peu dépouillés de leur souveraineté ou de leur capacité à agir, et n’étant plus que de dociles consommateurs, un peu serviles et silencieux. Dans ces conditions, il est normal que l’adjectif triomphe et que tout projet soit « citoyen », puisqu’il a été décidé qu’aucun citoyen n’y contribuerait.
L'adjectif est un leurre ou un cache-misère. Ce qui est qualifié de « citoyen », c’est ce qui se projette, s’applique, se décide, s’instaure à l’insu des citoyens et sans leur consentement ou
contre leur volonté. « L'âme citoyenne » tient de la soumission à un ordre tyrannique disait Balzac