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A propos de la résolution 1973

Publié le 18 mars 2011 par Egea

Une résolution 1973 a donc été votée aux Nations Unies, ouvrant la voie à une intervention armée contre le colonel Kadhafi. Quelques remarques.

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1/ Le texte est très dur, et surtout la résolution fort longue. On note la mention réitérée du soutien de la ligue arabe….. et la mention, au début, de « crime contre l’humanité » : on ne saurait plus simplement comparer le colonel Kadhafi à Hitler, et donc signifier que la lutte est « sans merci ». D’une certaine façon, c’est l’acculer. Toutefois, comme chacun a pu le constater, l’homme paraît prêt à toutes les extrémités et fait peu de cas de la « communauté internationale » : il n’a pas l’air de vouloir négocier (euphémisme).

2/ L’analyse des votes est instructives : les Etats-Unis ont voté, bien sûr, mais ils n’apparaissent pas en première ligne. Plusieurs raisons à cela, ainsi que le rappelait Alain Frachon dans le Monde d’hier soir :

  • la réserve à l’idée d’intervenir dans un pays arabe, alors que les Etats-Unis doivent se défendre depuis une dizaine d’années d’être anti-arabo-musulmans. En ce sens, il s’agit de poursuivre le « discours du Caire » et la politique de la main tendue. Même si cela peut laisser penser qu’ils s’accommodent fort bien des dictatures en place, comme l’illustre leur profonde gêne envers la reprise en main au Bahreïn.
  • L’autre explication, plus intéressante du point de vue stratégique, est militaire : bien sûr, il y a l’idée de ne pas s’engager dans un troisième théâtre du « grand Moyen Orient » (Irak, Afghanistan, et avec toutes les réserves que m’inspirent cette notion de GMO), alors que les moyens sont finalement comptés.
  • Mais aussi, il y a comme une sorte de réticence envers l’efficacité des frappes : au fond, les US craignent l’engrenage, et la nécessité de s’apercevoir, une fois qu’on a commencé à jeter des missiles, que ça n’emporte pas à soi seul la décision et qu’il faut faire qq chose de plus. Bref, comme un doute envers l’air power, comme si les leçons de la Bosnie ou du Kossovo avaient porté. D’autant qu’au sol, on ne voit pas trop quels supplétifs pourraient aider à emporter la décision, à la manière des Croates en 1995 ou de l’UCK en 1999. Des Etats-Unis moins interventionnistes : qui a dit que les Américains n'avaient pas changé ?

3/ La Russie et la Chine se sont abstenues, mais n’ont pas exercé leur véto : il ne faut pas croire qu’elles manifestent là un abandon de leur doctrine de la souveraineté : juste que Kadhafi ne dispose réellement d’aucun soutien, et que ni Moscou ni Pékin ne voient l’intérêt de se commettre auprès de quelqu’un d’aussi imprévisible. Cela peut aussi indiquer qu’ils disposent de renseignement démontrant la fragilité, malgré tout, du régime Libyen.

4/ L’Allemagne, donc, n’en est pas et s’est abstenue. Cela ne surprendra pas vraiment et montre que sa direction en Europe ne peut être qu’économique et que si elle est devenue, un peu malgré elle, exportatrice de sécurité, elle se refuse toujours à une politique de puissance « classique ». Autres abstentions : Inde et Brésil. Ah! bon, les pays émergents, conquérants, croque-mitaine, sont peu visibles ?

5/ La résolution prend bien soin d’évoquer le soutien de la ligue arabe, de l’union africaine et de l’organisation de la conférence islamique. Cela démontre simplement que Kadhafi est tout bonnement haï par ses pairs et qu’il est considéré comme « fou », ainsi que le disait Anouar el Sadate en son temps. Il reste qu’il y a probablement une part d’ambigüité dans ce soutien : dans le même temps, en effet, des régimes arabes utilisent la force pour maîtriser leur opposition (Bahreïn, mais aussi le Yémen) : peut-être certains font-ils le calcul que cette affaire occupera les médias occidentaux, laissant le temps nécessaire pour mater, à peu près « discrètement », les gêneurs domestiques.

6/ Il reste que derrière tous ces calculs et toutes ces arrière-pensées, et même si beaucoup jureront qu’il ne s’agit pas d’un précédent, il s’agit justement d’un précédent : la communauté internationale pratique, sans le dire, une sorte de droit d’ingérence au profit de peuples massacrés. Et ceci succède à la décision récente de l’UA de soutenir, finalement, A. Ouatarra.

7/ Et la France ? Elle se trouve en première ligne, et trouve là le lieu de concrétiser l’alliance opérationnelle avec la Grande-Bretagne. Elle a bien sûr pas mal à y perdre, mais pas mal à y gagner : et tout d’abord, la réaffirmation de son rôle directeur en Europe, et l’affirmation à chacun qu’elle compte encore : il y a tellement de Cassandre qui ne cessent de relativiser « la puissance française » et l’illusion de la grande puissance que cela met un peu de sens commun. Bien sûr la France n’est plus une super puissance comme elle a cru l’être, un temps, au lendemain de 1914, ou avec des réminiscences de la domination louis quatorzième ou napoléonienne… mais c’était il y a trois fois trente-trois ans, au moins. En revanche, et n’en déplaise aux esprits chagrins, la France demeure une puissance de premier plan capable d’influencer son environnement.

8/ Car après tout :

  • d’une part il s’agit de l’Afrique du Nord dont on conviendra qu’elle appartient à notre voisinage immédiat et qu’il n’est pas absurde de s’y intéresser
  • d’autre part ledit Colonel Kadhafi n’a quand même pas cessé depuis trente cinq ans de nous agresser, que ce soit à coup d’attentats aériens ou d’agressions au Tchad
  • enfin la vision universaliste de la France trouve là matière à défendre un peu concrètement ses principes, au profit de populations qui sont particulièrement menacées : les principes ne me paraissent pas infondés, d’autant qu’ils rejoignent nos intérêts ; ou plus exactement : ce n'est pas parce que les grands principes rejoignent nos intérêts qu'il faut pour cela ne pas agir .... pour une fois !
  • Bref, j’entends ceux qui me disent « c’est risqué ». Eh ! oui, la guerre, c’est dangereux et, plus embêtant encore, on en connaît rarement le résultat à l’avance.

9/ Mais alors, quand frapper ? On attend visiblement de trouver des Etats arabes (Qatar ? EAU ?) prêts à venir « avec nous » pour éviter que ce ne soit l’affaire « que » des Occidentaux, avec les réminiscences d’un autre siècle : bref, il faut éviter l’accusation de néo-colonialisme. Cela prend du temps. Et à la guerre, on échange du temps contre du terrain. Autrement dit, le temps qui passe peut être mis à profit par Kadhafi pour tenter de saisir Benghazi. Si la ville tombe, la rébellion n’aura plus de « territoire » à partir duquel elle pourra s’organiser, mettre en place un dispositif militaire et « reconquérir » le reste du territoire. Autrement dit, pour qu’on fasse une sorte de remake de Rommel contre Montgomery, un de ces allers-retours entre Tripolitaine et Cyrénaïque comme cette région y prédispose visiblement, il faut espérer que les insurgés de l’Est tiennent suffisamment longtemps.

Réf : le billet de J Guisnel

O. Kempf


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