A cours de cet entretien de 25 minutes que l’on pourra consulter en suivant ce lien, BHL s’est sans doute livré à son exercice médiatique favori (en soulignant le rôle qu’il avait tenu dans l’affaire), mais dans un anglais si « franchouillard », si confus, si approximatif (que l’on n’attendait pas d’un « intellectuel » ayant parcouru le monde depuis une quarantaine d’années) qu’il en devenait aussi drôle que pathétique. Il fallut toutefois attendre la seizième minute pour entendre le « philosophe », chemise blanche ouverte sur le néant et la tour Eiffel, lâcher un singulier propos qui dut faire sourciller les téléspectateurs anglophones et arabo-musulmans : « It will be very difficult now to make a blowjobs (sic) to dictators in the Arab world when we are European government (sic) ». La presse crut bon d’en donner cette traduction : « il sera très difficile désormais de faire des fellations aux dictateurs dans le monde arabe quand nous sommes un gouvernement européen ».
Traduction bancale (aussi bancale que l’était la phrase originale, il faut bien l’admettre), mais surtout inexacte, l’équivalent anglais de « fellation » étant « fellatio ». « Blowjob », est-il nécessaire de le préciser, ne peut se traduire que par « pipe » (mais, en ces temps d’antitabagisme…), voire « pompier », en argot plus ancien, et c’est bien cela qu’ont entendu les téléspectateurs. Passons sur la trivialité des termes, plus proche du registre sémantique de Fouché que de celui d’un apprenti Talleyrand… Le monde se forgera ainsi une opinion sur l’interviewé, présenté par Al Jazeera – sans rire – comme « l’un des plus célèbres écrivains, philosophes et activistes » français. Tout juste s’étonnera-t-on que, dans un Etat de droit siègeant au Conseil de sécurité de l’ONU, un tel histrion ait été associé au plus haut niveau de notre diplomatie alors que le ministre en charge était absent. Ni la France, ni la résistance libyenne ne méritaient cela.
C’est à cet exercice de traduction mot à mot que s’était livré, il y a une vingtaine d’années, Jean-Loup Chiflet dans un ouvrage savoureux et hilarant intitulé Sky my husband ! Ciel mon mari ! (Le Seuil, collection Points, 285 pages, 10€). La recette qu’il donnait de sa méthode loufoque mérite d’être citée :
On découvre donc dans ce recueil que « se bidonner » devient en anglais « to jerrican one’s self », « sucrer les fraises », « to sugar the strawberries », « sans crier gare », « without shouting station » et « un avocat marron », « a brown avocado ». Naturellement, après ces traductions fantaisistes, l’auteur donne les expressions anglaises appropriées.
Bernard-Henri Lévy a-t-il lu Jean-Loup Chiflet avec une plus grande attention qu’il n’avait jadis parcouru Jean-Baptiste Botul ? Ce n’est pas exclu, car la recette a été scrupuleusement respectée. Et il faut avouer que sa métaphore pour le moins hardie pourrait désormais figurer en bonne place dans ce livre, non d’une pipe (name of a pipe) ! Quoi qu’il en soit, si De la guerre en philosophie nous avait prouvé que BHL pouvait se montrer défaillant à l’écrit, son « blowjob » nous indique qu’il peut parfois aussi être recalé… à l’oral.
Illustrations : Copie d’écran de l’interview d’Al Jazeera incluant la traduction française. - René Magritte, “Ceci n’est pas une pipe”.