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Comment Sarkozy se prend pour Churchill.

Publié le 18 mars 2011 par Letombe
Comment Sarkozy se prend pour Churchill.

La France n'est pas en guerre, mais la brutale accélération des troubles du monde a permis à Nicolas Sarkozy de redresser son image. Devant des chefs d'entreprise, il insiste sur le sang-froid nécessaire, pour mieux refuser le débat nucléaire. Le soir, il publie une violente et urgente missive à destination du conseil de sécurité de l'ONU afin qu'une intervention militaire même modeste et aérienne soit rendue possible en Libye. La crise libyenne déstabilise d'abord les marchés pétroliers. Et le lendemain, il s'impose chez des pompiers pour une inauguration-prétexte, et louer le courage des soldats du feu, en France comme au Japon.
Il n'est évidemment pas sûr que l'électorat gobe aussi facilement ce nouveau story-telling présidentiel. Mais le candidat déploie tous ses efforts.
Un show au Grand palais
Mercredi 16 mars, Nicolas Sarkozy avait réservé l'immense salle du Grand Palais à Paris pour célébrer l'excellence et l'esprit d'entreprise devant 2000 personnes, pour la plupart chefs d'entreprise membres du réseau Oseo Excellence. La manifestation, une première pour Oseo, avait été spécialement organisée pour cette célébration présidentielle. Tous les moyens, et les prétextes, sont bons pour la campagne du candidat !
Les entreprises, financièrement soutenues par l'établissement public Oseo, totalisent 46 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 315.000 salariés et 7.600 brevets déposés. En novembre dernier, François Drouin., le président d'Oseo expliquait qu'il avait quasiment dépensé l'enveloppe de 1 milliard d'euros alloué pour les années 2009-2011. François Drouin précisait également qu'il allait devoir restructurer sa propre organisation, actuellement composé de 4 sociétés, pour ouvrir davantage le capital de chacune. Ce premier milliard a été distribué en toute subjectivité, sous forme de prêt sans garantie ni caution personnelle, d'une durée de 7 ans (avec un différé de remboursement de deux ans), et plafonné à 3 millions d'euros, baptisé « contrat de développement participatif.» Au final, seule une petite moitié des bénéficiaires ont pu être qualifiées d'« innovantes
Pour Sarkozy, l'occasion permettait de positiver son discours, célébrer « l'esprit d'entreprise » plutôt que la précarisation, parloter sur « l'excellence » et l'innovation plutôt que constater la hausse du chômage ; faire l'éloge « du capitalisme à la française, du capitalisme familial, du capitalisme réactif, du capitalisme qui se soucie d'innovation et d'emplois » plutôt que s'interroger sur l'incroyable survivance de la spéculation boursière deux ans après les promesses de régulations du G8.
Sang-froid et opportunisme
Mais le Japon s'est invité dans l'actualité, il pouvait même glisser un court laïus sur le sang-froid en politique.
« Mes premiers mots seront pour dire au peuple japonais, bien sûr, la solidarité du peuple français dans la tragédie à laquelle ils font face avec un sang froid admirable et un sens élevé des responsabilités. (...)  Nous avons un triple devoir. Un devoir de lucidité - la situation au Japon est extrêmement préoccupante. Elle est très grave (...). Un devoir de vérité sur les conséquences qu'il nous faudra en tirer. Et pour face à ce devoir de vérité, la transparence sera le maître mot de l'action gouvernementale.» et, enfin, « un devoir de sang froid. Quand il y a une crise, il faut avoir du sang-froid. Notre pays a fait des choix sur les quarante ou cinquante dernières années.» Sarkozy défend l'énergie nucléaire « non pas de façon exclusive, mais de façon principale.» 
Cet argument est central depuis plus d'an, dans l'entreprise électorale du candidat. Affaibli par un bilan inexistant aux résultats maigres ou contestés, Sarkozy tente de rebondir sur son tempérament : son présumé courage face aux évènements « incroyables » qui ont marqué son mandat : crash boursier, récession historique, troubles géopolitiques... Tout est bon pour se portraiter comme un Churchill. Le geste était ferme, la main droite tranchait l'air, le ton calme.
Pour le reste, Nicolas Sarkozy lâcha d'habituelles annonces, pour l'essentiel attendues, entre-coupées de leçons de vie tout aussi habituelles. Côté annonces, Sarkozy rallonge de 1 milliard l'enveloppe de prêt participatifs d'Oseo : « Mille dossiers ont été approuvés. Oséo pourra mobiliser une enveloppe supplémentaire de 1 milliard de prêts participatifs ».  En parallèle, Sarkozy augmente de 400 millions d'euros la dotation du Fonds stratégique d'investissement (FSI). Le crédit d'impôt recherche ne sera pas modifié, malgré la chasse aux niches fiscales. Et il promit de nouvelles simplifications administratives pour l'embauche :  « Je sais à quel point la complexité administrative est une entrave. Nous allons nous attacher à la simplification des formalités liées à l'embauche en divisant par quatre les informations demandées.»
Côté leçons, il dénonça le mérite et la réussite, par quelques formules creuses dont il a le secret : « On ne peut pas n'être fasciné que par le nivellement, que par l'égalitarisme. La réussite n'est pas un gros mot, la réussite est positive » Qui est donc fasciné par le nivellement ? Qui ne souhaite pas réussir ? Sur l'apprentissage, le candidat répéta ses mêmes anecdotes contre la formation théorique. Sur sa future réforme de la fiscalité des riches, contestée y compris à droite, le candidat tacla ses critiques : « Je reçois beaucoup de conseils, notamment pour ne rien faire. Comme sur les retraites, le service minimum, les universités... Je ne mettrai pas cette réforme de côté. En Espagne et en Allemagne, on a supprimé l'ISF. Je n'y ai pas observé de combat titanesque. La France va réformer tranquillement les modes d'imposition du patrimoine. Il s'agira d'une véritable réforme. »
Courage et impuissance
Le soir même, le Monarque élyséen publiait sa missive au Conseil de sécurité de l'ONU, réuni en conclave à New-York : « La France appelle solennellement tous les membres du Conseil de sécurité à prendre pleinement leurs responsabilités et à soutenir cette initiative. Ensemble sauvons le peuple libyen martyrisé ! Le temps se compte maintenant en jours, voire en heures. Le pire serait que l'appel de la Ligue arabe et les décisions du Conseil de Sécurité soient mis en échec par la force des armes
En Libye, le colonel Kadhafi est en passe de reprendre Benghazi, le coeur de la révolte libyenne. « Grâce à l'Europe, Kadhafi a les mains libres » pouvait commenter un journaliste italien de la Reppublica. « Kadhafi achève sa reconquête. La Communauté internationale masque au mieux son embarras derrière l’émotion suscitée par le désastre japonais et la grande peur nucléaireJeudi soir, le Conseil de Sécurité de l'ONU, par 10 voix pour et 5 abstentions, approuvait le recours à la force contre les troupes du dictateur libyen. On saura plus tard si ce sursaut de dernière minute servira à quelque chose pour sauver l'opposition résiduelle. On sait déjà que les belles déclarations de dernière minutes n'effaceront pas l'inefficacité européenne et de l'OTAN que Nicolas Sarkozy nous a intégralement fait rallier, pour rien, en 2009
Dans cette même journée de jeudi 17 mars, le candidat Sarkozy a filé dans les Bouches-du-Rhône. S'afficher aux côtés des pompiers est politiquement utile en ces temps de catastrophe nucléaire au Japon. A Vitrolles, il a assisté à une démonstration d'opérations de commandement et de secours sur le plateau technique de l'Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs Pompiers. A Aix-en-Provence, il est arrivé pressé, pour 18 minutes de discours avant de repartir dès 13h. Il inaugurait l'École Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers (ENSOSP)à Aix-en-Provence. Il parle « mutualisation des moyens avec les autres forces de sécurité », notamment la gendarmerie en ce qui concerne les flottes d'hélicoptères, « modernisation du statut des sapeurs-pompiers » et encouragement du volontariat, « un enjeu fondamental pour l'avenir de la sécurité civile en France.» En ces temps de rigueur budgétaire et de suppression de postes publics, l'appel aux volontaires est presqu'une obligation présidentielle.
Il promit d'aller au Japon. Ce fut la seule information notable retenue de ce déplacement : « il n'est pas question de déranger les autorités japonaises qui doivent se consacrer de façon totale à la gestion de la crise mais, bien évidemment, si l'opportunité se présentait et si les autorités japonaises le souhaitaient, il va de soi qu'au moment de mon déplacement en Asie, je me rendrai là-bas pour manifester notre solidarité.»
Bref, le tableau était complet pour les JT du jour.
Un président « protecteur » et « responsable », un vrai Churchill.

Sarkofrance


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