C’est au fond une assez étrange séance qui s’est tenue au Petit Palais, à Paris, ce mercredi 16 mars 2011 : rencontre-lecture avec Bernard Collin, accompagné de Bernard Chambaz et présenté par Pierre Vilar.
Étrange en raison du contraste saisissant entre les tentatives de dialogue, fragmentées, voire éclatées, déstabilisées et déstabilisantes parfois, souvent très drôles et les temps de lecture, comme une seule coulée vive et cohérente, emportant tout sur son passage.
Première intervention rieuse de Bernard Collin à propos du Mercure de France qui publie en 1977 Sang d’autruche : il fait savoir que le livre n’est pas épuisé et qu’il vient de recevoir son compte du Mercure de France, avec un chèque d’un montant de...11 €.
Suivront trois livres publiés chez Fata Morgana, Premiers pas sur la terre radieuse (1984), Ambakoum (1985) et 22 lignes par jour et il sort de sa pensée (1988).
A l’issue de cette présentation rapide, Pierre Vilar souligne qu’on a l’impression, lisant Bernard Collin des années 60 à aujourd’hui que tous ces livres n’en font qu’un, qu’il ne s’agit que « d’un seul et même livre).
Il dit aussi à quel point il est difficile d’interviewer Bernard Collin. Car de deux choses l’une, ou bien à une courte question il répond par une seule phrase de deux heures, ou bien à une longue question, il répond par un mot.
D’où ce choix stratégique de donner beaucoup de place à la lecture, pas uniquement bien sûr pour ces raisons-là mais parce qu’il est important d’entendre Bernard Collin lire, car il a dans la voix « quelque chose de caractéristique, dans la scansion, le rythme, la ponctuation, le souffle. »
Première lecture donc d’une vingtaine de minutes de Perpétuel voyez Physique.
Bernard Chambaz dit comme cela a quelque chose de mystérieux pour lui lecteur de Bernard Collin, de trouver ses « lignes » simple, cette lecture si facile alors que beaucoup jugent l’œuvre difficile.
Lignes en effet. Car Bernard Collin récuse un certain nombre de mots comme texte, recueil, phrases auxquelles il préfère lignes ou journées. Pierre Vilar raconte qu’après son échec à l’ENA, Bernard Collin s’est mis à composer 22 lignes par jour, suivant en cela le format d’une page quadrillé de cahier.
Il est question ensuite de nouveau des 22 lignes et Bernard Collin précise qu’il voudrait « que tout soit écrit pareil sur le même ton », avec une sorte de neutralité, un ton qui ne soit pas propre à chaque sujet évoqué.
Interrogé sur les lectures fondatrices, Bernard Collin ne sera guère plus prolixe que sur les autres sujets, mais il parlera toutefois un peu plus tard de quatre grandes sources. Il insiste (mais le mot n’est pas approprié à Bernard Collin !) aussi sur l’importance de la syntaxe latine, tout en balayant à chaque instant toute idée de savoir ou d’érudition d’un revers de main, d’une moquerie. Il n’a pas, dit-il, de « connaissance panoramique de la littérature ». Mais quand il lisait un auteur, il s’arrangeait pour tout lire (ainsi tout Balzac « même les faux » !). Il évoque Gongora et ses miscellanées de latin, de grec et de toscan.
Les quatre grandes sources ? Saint Simon, l’Encyclopédie, l’Écriture [sainte] et un dictionnaire ancien de la langue castillane. Deux éléments importants aussi, les règles latines et le catéchisme.
Pour clore la rencontre suivie par un public exceptionnellement nombreux, retour à la lecture et en particulier à des passages de l’avant dernier livre qui évoque l’épouse de Bernard Collin, Margò, d’origine chilienne et si l’on a bien compris, sa disparition : « il ne s’agit pas d’observations, dit Bernard Collin, je n’observe pas bien, il n’y a rien de médical, pas de pathologie, pas de pathos, faire des lignes, pas des phrases, ne pas parler d’expérience, surtout pas ». « pas d’expérience, pas d’émotion, rien que des virgules ». Ce que Bernard Chambaz confirme, oui, « pas d’émotion, plutôt le moteur. »
Et pourtant.... n’est-ce pas un moment de profonde et belle émotion que vivent le lecteur et les auditeurs lors de la lecture de certaines pages d’Avalois, pour retourner immédiatement à la drôlerie, avec une inénarrable affaire de contravention et la transcription mot à mot du formulaire à remplir en cas d’excès de vitesse !
On sort de cette rencontre avec le désir de lire davantage Bernard Collin et de contribuer, même modestement, à le faire lire.
Florence Trocmé
1. Voir aussi le Cahier critique de Poésie, du cipM (Centre international de Poésie de Marseille), n° 18 (2009), qui a consacré son Dossier à Bernard Collin, avec des contributions notamment de Jérôme Mauche, Danielle Mémoire, Claude Royet-Journoud, David Lespiau, Dominique Fourcade, Bernard Chambaz, Jean Pietri, Anne Parian, Lola Créïs, Raoul ruiz, Emmanuel Ponsart, avec des textes de Bernard Collin.
Photos © Florence Trocmé, en veste grise, Bernard Collin, en veste noir Bernard Chambaz, avec l’écharpe, Pierre Vilar
Dans Poezibao, lire :
bio-bibliographie,
reconnaissance à Bernard Collin (carte blanche de Jean-Marie Perret), extrait 1,
Vingt deux lignes, cahier 100 (par JP Dubost)