C’est au fond une assez étrange séance qui s’est tenue au Petit Palais, à Paris, ce mercredi 16 mars 2011 : rencontre-lecture avec Bernard Collin, accompagné de Bernard Chambaz et présenté par Pierre Vilar.
Étrange en raison du contraste saisissant entre les tentatives de dialogue, fragmentées, voire éclatées, déstabilisées et déstabilisantes parfois, souvent très drôles et les temps de lecture, comme une seule coulée vive et cohérente, emportant tout sur son passage.
En introduction Pierre Vilar brosse une sorte de traversée dans l’oeuvre de Bernard Collin, auteur important et beaucoup trop peu lu, Claude Royet-Journoud me le confirmera dans un bref dialogue. Un Bernard Collin qui s’il n’admet pas le mot de poésie à propos de ses livres, reconnaît que si « ce n’en est pas, il peut y en avoir ». Ces propos donnent le ton de cette rencontre, où les questions furent systématiquement retournées, ou ignorées, pour ouvrir souvent d’autres pistes, plus inattendues et en particulier une sur laquelle je reviendrai.
Traversées des œuvres donc, depuis Centre de vous, le premier livre publié en 1960 par Pierre Bettencourt, l’ami, le proche, avec lequel Bernard Collin a entretenu une très belle correspondance. Puis le deuxième livre qui « sera vendu en station-service » : Les Milliers, les millions et le simple, republié en 1995 par Ivrea, ayant été publié initialement en 1965 en poche par 10/18. Bernard Collin publie alors aussi beaucoup en revue, notamment dans l’Éphémère mais également dans des revues moins connues comme Port des Singes.
Première intervention rieuse de Bernard Collin à propos du Mercure de France qui publie en 1977 Sang d’autruche : il fait savoir que le livre n’est pas épuisé et qu’il vient de recevoir son compte du Mercure de France, avec un chèque d’un montant de...11 €.
Suivront trois livres publiés chez Fata Morgana, Premiers pas sur la terre radieuse (1984), Ambakoum (1985) et 22 lignes par jour et il sort de sa pensée (1988).
Pierre Vilar attire ensuite l’attention sur un livre exceptionnel, consacré au peintre Wols : Wols avec une loupe, paru chez Fourbis en 1990 et qui ne porte aucun nom d’auteur sur la couverture. Puis à propos de Picti libri (La Sétérée, 1991), il parle des livres peints, une autre activité, picturale celle-là, de Bernard Collin qui se livre à des « peintures du dimanche », « sur des livres lus ». Puis ce seront Une espèce de Peau mince, chez Chandeigne (1995) deux livres chez Ivrea, Perpétuel voyez Physique et Les Globules de Descartes (1996 et 2004), Avalois chez Chandeigne en 2008 et enfin le livre prau récemment, 22 lignes Cahier 100 édité par Jérôme Mauche aux Éditions des Petits Matins.1
A l’issue de cette présentation rapide, Pierre Vilar souligne qu’on a l’impression, lisant Bernard Collin des années 60 à aujourd’hui que tous ces livres n’en font qu’un, qu’il ne s’agit que « d’un seul et même livre).
Il dit aussi à quel point il est difficile d’interviewer Bernard Collin. Car de deux choses l’une, ou bien à une courte question il répond par une seule phrase de deux heures, ou bien à une longue question, il répond par un mot.
D’où ce choix stratégique de donner beaucoup de place à la lecture, pas uniquement bien sûr pour ces raisons-là mais parce qu’il est important d’entendre Bernard Collin lire, car il a dans la voix « quelque chose de caractéristique, dans la scansion, le rythme, la ponctuation, le souffle. »
Première lecture donc d’une vingtaine de minutes de Perpétuel voyez Physique.
Pierre Vilar suggère à Bernard Collin qu’on peut le lire comme on lit le journal, encouragé dans cette intuition par Bernard Chambaz [Bernard Chambaz est un ami de Bernard Collin et on trouve dans son dernier livre Été II plusieurs allusions à « bc » et à Margó son épouse, au livre Avalois également...).
Bernard Chambaz dit comme cela a quelque chose de mystérieux pour lui lecteur de Bernard Collin, de trouver ses « lignes » simple, cette lecture si facile alors que beaucoup jugent l’œuvre difficile.
Lignes en effet. Car Bernard Collin récuse un certain nombre de mots comme texte, recueil, phrases auxquelles il préfère lignes ou journées. Pierre Vilar raconte qu’après son échec à l’ENA, Bernard Collin s’est mis à composer 22 lignes par jour, suivant en cela le format d’une page quadrillé de cahier.
B. Collin va alors développer un thème important, son rapport avec la religion, ce qu’il appelle aussi la dévotion. Il raconte qu’il a été élevé chez les oratoriens et les jésuites (après son retour en France, vers l’âge de 7 ans et après avoir voyagé en bateau en Amérique du Sud). Rappelant que tous les bons élèves de ces gens-là, à l’âge adulte, deviennent « mécréants ». Mais qu’en écrivant il a pris conscience de ce sujet récurrent, comme « adhérent à une dévotion ». Que d’ailleurs au début, il a gêné en raison de ses « bondieuseries » et que l’un de ses éditeurs a cru qu’il y avait une dimension dérisoire dans ses allusions.... Ce qu’il réfute.
Il est question ensuite de nouveau des 22 lignes et Bernard Collin précise qu’il voudrait « que tout soit écrit pareil sur le même ton », avec une sorte de neutralité, un ton qui ne soit pas propre à chaque sujet évoqué.
Interrogé sur les lectures fondatrices, Bernard Collin ne sera guère plus prolixe que sur les autres sujets, mais il parlera toutefois un peu plus tard de quatre grandes sources. Il insiste (mais le mot n’est pas approprié à Bernard Collin !) aussi sur l’importance de la syntaxe latine, tout en balayant à chaque instant toute idée de savoir ou d’érudition d’un revers de main, d’une moquerie. Il n’a pas, dit-il, de « connaissance panoramique de la littérature ». Mais quand il lisait un auteur, il s’arrangeait pour tout lire (ainsi tout Balzac « même les faux » !). Il évoque Gongora et ses miscellanées de latin, de grec et de toscan.
Les quatre grandes sources ? Saint Simon, l’Encyclopédie, l’Écriture [sainte] et un dictionnaire ancien de la langue castillane. Deux éléments importants aussi, les règles latines et le catéchisme.
Bernard Chambaz interroge Bernard Collin sur l’importance du XVIIe siècle pour lui et là encore le thème de la dévotion refait apparition avec évocation de St François de Sales, Sainte Jeanne de Chantal, le Combat spirituel, les lettres de Catherine de Sienne, Madame Guyon, Fénelon, ce qui permet alors de revenir aux livres peints, puisque pour la plupart, ce sont des livres de dévotion. La pratique de peindre des livres lus a débuté en 1968, avec de la peinture pour soldats de plomb, par exemple des Entretiens avec le Sacré-Cœur, une bible, etc.
Pour clore la rencontre suivie par un public exceptionnellement nombreux, retour à la lecture et en particulier à des passages de l’avant dernier livre qui évoque l’épouse de Bernard Collin, Margò, d’origine chilienne et si l’on a bien compris, sa disparition : « il ne s’agit pas d’observations, dit Bernard Collin, je n’observe pas bien, il n’y a rien de médical, pas de pathologie, pas de pathos, faire des lignes, pas des phrases, ne pas parler d’expérience, surtout pas ». « pas d’expérience, pas d’émotion, rien que des virgules ». Ce que Bernard Chambaz confirme, oui, « pas d’émotion, plutôt le moteur. »
Et pourtant.... n’est-ce pas un moment de profonde et belle émotion que vivent le lecteur et les auditeurs lors de la lecture de certaines pages d’Avalois, pour retourner immédiatement à la drôlerie, avec une inénarrable affaire de contravention et la transcription mot à mot du formulaire à remplir en cas d’excès de vitesse !
On sort de cette rencontre avec le désir de lire davantage Bernard Collin et de contribuer, même modestement, à le faire lire.
Florence Trocmé
1. Voir aussi le Cahier critique de Poésie, du cipM (Centre international de Poésie de Marseille), n° 18 (2009), qui a consacré son Dossier à Bernard Collin, avec des contributions notamment de Jérôme Mauche, Danielle Mémoire, Claude Royet-Journoud, David Lespiau, Dominique Fourcade, Bernard Chambaz, Jean Pietri, Anne Parian, Lola Créïs, Raoul ruiz, Emmanuel Ponsart, avec des textes de Bernard Collin.
Photos © Florence Trocmé, en veste grise, Bernard Collin, en veste noir Bernard Chambaz, avec l’écharpe, Pierre Vilar
Dans Poezibao, lire :
bio-bibliographie,
reconnaissance à Bernard Collin (carte blanche de Jean-Marie Perret), extrait 1,
Vingt deux lignes, cahier 100 (par JP Dubost)