L'histoire du caniche Moffino est célèbre à Milan. Ce chien avait suivi son maître, qui faisait partie, en qualité de caporal, du corps d'armée du prince Eugène de Beauharnais, lors de l'expédition de Russie en 1812. Au passage de la Bérésina, ces deux fidèles compagnons furent séparés par des glaçons qui roulaient dans le fleuve, et le caporal milanais revint dans sa ville natale en regrettant, non pas ses blessures, mais son pauvre caniche, avec lequel il avait partagé bien des souffrances et bien des misères.
Un an s'était écoulé, et le soldat, rentré dans sa famille, avait pour ainsi dire oublié l'objet de son chagrin. Un jour pourtant, les gens de la maison virent arriver le fantôme d'un animal, qui jadis avait dû être un chien, mais qui, à coup sûr, ne méritait plus ce nom ; c'était quelque chose de hideux, qu'on chassa sans pitié, malgré les cris plaintifs que le pauvre être faisait entendre.
A ce moment, l'ex-caporal revenait d'une promenade en ville et vit s'avancer vers lui, en rampant sur le sol, ce quadrupède infortuné qui lui vint lécher les pieds en poussant de sourds gémissements. Il l'écarte assez rudement, et il allait peut-être débarrasser ce singulier visiteur du reste de vie qui paraissait l'animer, quand, se ravisant, il examine avec plus d'attention certaines marques, certains indices particuliers de cet hôte qui lui fait fête.
Il prononce le nom de Moffino, et voilà que l'animal se relève, pousse un joyeux aboiement et retombe épuisé de faim, de fatigue, et peut-être, devrait-on ajouter, d'émotion. Son maître, qui l'a enfin reconnu, s'empresse auprès de lui, le secourt, le ranime, le sauve en un mot.
Cette traversée de plus de la moitié de l'Europe, entreprise par un animal qui n'a pour tout guide que son merveilleux instinct ;ces fleuves, ces montagnes franchis par un faible être au prix de souffrances terribles, tout cela tenté pour retrouver son maître, n'est-ce pas une grande leçon pour bien des hommes ?