Quelque part en zone occupée…
Le village était en effervescence. Dans chaque ferme les paysans s’activaient, aidés des villageois bénévoles… C’était la saison des foins et l’on se devait de constituer le fourrage pour les bêtes en prévision de l’hiver…
Les charrettes croisaient sur les chemins caillouteux, les véhicules kaki des Allemands… Le capitaine Anglais, caché de source sûre selon la gestapo dans la région, faisait l’objet de recherches intensives… De plus l’épisode du parachutage survenu quelques semaines plus tôt avait échauffé les esprits de l’occupant nazi… L’officier de la gestapo avait d’ailleurs élu domicile à l’auberge du cheval blanc, et même réquisitionné une pièce du rez-de-chaussée pour en faire son bureau…
Antoine, ancien mécanicien dans une concession Peugeot avant guerre, rendait de menus services à cet officier en procédant à d’anodines réparations… Certains des villageois voyaient là encore un signe de collaboration de la part du pauvre Antoine…
« Le salaud il bouffe à tous les râteliers ! » Avait même dit un jour Gaston le meunier…
Il est vrai que ses petits bricolages semblaient lui rapporter à l’Antoine, une plaque de chocolat par-ci, un paquet de tabac par-là… En fait il se jouait du policier afin d’obtenir d’autres faveurs, des Aus weiss par exemple pour passer en zone libre, et aller y faire des emplettes… On l’avait même vu rapporter un jour, une paire de bas de soie à la Francine, la fille du docteur Gignac… Les Teutons fermaient les yeux, cet abruti était si serviable !
Ce que les mauvaises langues ignoraient c’est qu’en plus de ses achats, notre homme entretenait une correspondance avec les autorités de la résistance postées en zone libre, qui elles mêmes tenaient leurs informations d’un certain Général de Gaulle exilé en Angleterre…
Antoine rapportait ainsi des messages codés, toujours verbaux au « Bordelais », qui avisait et décidait des opérations à réaliser… Le système était bien rodé… Seuls Antoine, Lucien et le curé prenaient ensuite les risques au moment des sabotages et interventions de diverses natures…
Le lundi suivant donc Antoine se rendait chez le « Bordelais » à Cauzagnes le village voisin. Officiellement, il rendait visite à sa mère infirme, qui habitait un petit appartement du centre ville…
Notre homme y pénétrait, fermait la porte derrière lui et y passait en général une petite heure… Du moins le croyait-on… En fait, au fond de la cour se trouvait un ancien passage qui donnait sur un autre immeuble… Celui où résidait le « Bordelais » vous l’aurez compris… Il ne restait plus à Antoine qu’à lui laisser son message, et à revenir avec la même discrétion plus tard pour connaître la suite à donner…
Parfois il venait pour rien, on ne donnait pas suite. D’autres fois on lui confiait un message dans un paquet de cigarettes. Bref ! Rien d’établi à l’avance, mais Antoine était le seul habilité pour ces échanges…
Ce jour là dans la pièce noire où l’on ne distinguait qu’une silhouette portant écharpe et chapeau, allait se passer un évènement très particulier…
En effet le « Bordelais » venait de tendre à Antoine un tube de la grosseur d’une gauloise, entouré d’un petit papier, le tout bien ficelé…
« Attention c’est fragile… »
Le « Bordelais » avec cette imperturbable discrétion venait de donner le message retour à Antoine… Ce dernier pourtant habitué, se sentait mal à l’aise : c’était la première fois que le « Bordelais » procédait de la sorte…
« C’est fragile… C’est fragile… » En fait sa curiosité était piquée, mais en bon professionnel de la résistance, il plaça ce curieux message dans son paquet de cigarette, comme d’habitude, et prit congé…
Le temps de repasser par l’appartement de sa mère, de l’embrasser et il était juché sur son vélo…
Une bonne heure plus tard, arrivé au village, il montrait son ausweiss à son ami officier, qui une fois encore lui ouvrit la barrière en lui lançant une plaisanterie… On ne fouille pas cet imbécile devait penser le militaire…
Afin de n’éveiller aucun soupçon, Antoine ne se rendit au café du village que deux jours plus tard, commanda son « café » habituel, et s’attabla pour sa belote…
Il proposa une cigarette à Lucien qui comme d’habitude accepta… Après un rapide coup d’œil il sortit le tube enveloppé du paquet…
« C’est fragile ! » Dit Antoine…
Lucien déplia le papier, et avant de l’avaler changea de couleur… « Sortons un instant » lança t-il à Antoine «Ma bicyclette fait du bruit je voudrais ton avis »
Une fois dehors Lucien tendit discrètement le tube de carton à Antoine…
« C’est du cyanure, une capsule… »
« Du cyanure ? Qui doit-on empoisonner ? L’officier de la Gestapo ? »
« Non Antoine : Francine. C’est elle qui nous a balancé aux Schleus… La perquisition chez la Comtesse, et sûrement les arrestations des mois précédents… »
Antoine était secrètement amoureux de la fille du docteur Gignac, ce qu’on lui demandait était effroyable, pourtant seul lui pouvait sans éveiller les soupçons approcher Francine, on les savait proches, en plus il était hors de question de discuter, Antoine le savait…
« C’est un ordre ! » Dit Lucien
Dès le lendemain Antoine était chez Francine… « Je t’ai porté du thé, je sais que tu l’adores… Va faire chauffer de l’eau… » Lui dit-il en souriant
La jeune femme venait de quitter la pièce pour se rendre dans la cuisine, Antoine sans hésiter cassa la minuscule capsule et en déversa le contenu dans la tasse de Francine…
10 minutes plus tard la bouilloire sifflait, les tasses fumaient. Antoine caressait la main de son amie une dernière fois, il en avait conscience…
Dès la première gorgée sans le moindre bruit la tête de Francine tombait en arrière… Elle était morte…
Mission accomplie…
Le soir même le docteur Gignac, son propre père, concluait à une crise cardiaque, sans sourciller…
Dyonisos