Claude Guéant c’est un peu comme ces lévriers légèrement voûtés, sagement rangés aux pieds ou derrière leur maître. Leur façon de se mouvoir et de s’inscrire dans le cadre fait oublier qu’ils peuvent aboyer. Et aboyer longuement. “Les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale” a déclaré jeudi 17 mars au micro d’Europe 1 Claude Guéant.
Une phrase qui doit être rapprochée de l’entretien accordé au quotidien Le Monde du 16 mars : “Le FN ne nous sert pas de boussole. Un gouvernement doit travailler en fonction de ce qu’il estime être nécessaire et il doit être à l’écoute de la population. Les Français ont le sentiment que les flux non-maîtrisés changent leur environnement. Ils ne sont pas xénophobes. Cela étant, ils veulent que la France reste la France. Ils veulent que leur mode de vie soit respecté, que la laïcité demeure à la base de notre pacte républicain. Ils veulent que l’intégration, pour les nouveaux venus, ou l’assimilation, pour les plus anciens, se fasse réellement, ils ne veulent pas de communautarisme. Les Français veulent que les nouveaux arrivés adoptent le mode de vie qui est le leur “.
Si les propos mettent la gauche en émoi , l’UMP, traumatisée par les intentions de vote prêtées au Front National fait bloc autour de Claude Guéant. François Fillon qui décidément aura couvert tous les dérapages de ses ministres fait le sourd. Signe qu’il s’agit bien d’une stratégie partagée, le Premier ministre a affirmé sur France 2 jeudi soir “ne pas s’attacher aux tournures de phrases” mais uniquement à la politique menée par le gouvernement. François Baroin, porte-parole du gouvernement estime de son côté “qu’il n’y a pas de procès en sorcellerie à faire” à Claude Guéant.
La réplique la plus intelligente est assurément venue d’Harlem Désir , numéro 2 du PS, pour qui, “C’est quand l’État n’est plus dirigé par des républicains que “les Français ne se sentent plus chez eux“.
Pertinente également l’analyse du député villepiniste Jean-Pierre Grand : “J’observe une montée du Front National, à partir de slogans, et quand j’entends le ministre de l’Intérieur, dire qu’on ne se sent pas chez soit en France, c’est gravissime. C’est un discours qui est à peu près celui que tiennent les candidats du Front National aux élections cantonales partout en France. Je ne pense pas que le ministre de l’Intérieur ait vocation à faire campagne pour le Front National. Quand on tient de tels discours, on crédibilise le Front National, et les électeurs ne s’y trompent pas, ils vont voter pour l’original. Ils ne vont pas voter pour la copie. C’est idéologiquement insupportable, et politiquement suicidaire“.
Claude Guéant ministre, ce n’est pas la victoire de la méritocratie comme on peut le lire ici ou là dans des portraits hagiographiques. C’est au contraire le symbole du renoncement du pouvoir politique face à une haute administration et la rupture de l’apparence avec le passage à la lumière des hommes de l’ombre. “En réalité, il était le vrai ministre de l’Intérieur depuis au moins quinze ans“, concède Jean-Louis Debré.
Quinze années de responsabilités donc pour des résultats qu’il dénonce aujourd’hui …
L’emprise de Claude Guéant sur Nicolas Sarkozy est inquiétante. Tous les observateurs s’accordent à reconnaître que rarement secrétaire général n’avait accumulé autant de pouvoir à l’Elysée. Tout transitait par lui. Aujourd’hui encore, Les Echos rapporte que pas une journée ne passe sans que Nicolas Sarkozy ne l’appelle.
En plaçant son cardinal place Beauvau, Nicolas Sarkozy offre certes son bâton de maréchal à un collaborateur fidèle mais il verrouille surtout un ministère stratégique pour les présidentielles. Une place forte à partir de laquelle l’Elysée entend bien reconquérir les électeurs tentés par le FN.
Les propos de Claude Guéant ne doivent rien au hasard. Pas plus que le soutien sans faille qu’il trouve dans la majorité. Ils confirment que loin de se recentrer, Nicolas Sarkozy sur la fin du mandat va accentuer sa dérive droitière afin de braconner dans les eaux frontistes.