HAHAHA de HONG SANGSOO

Par Abarguillet

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L’argument :Le réalisateur Jo Munkyung envisage de quitter la Corée pour partir au Canada. Avant son départ, il revoit autour d’un verre son grand ami, Bang Jungshik, critique de films. Lors de ce rendez-vous arrosé, les deux amis découvrent par hasard qu’ils se sont rendus récemment dans la même petite ville en bord de mer, Tongyeong. Ils décident de se raconter leur voyage réciproque à condition de n’en révéler que les moments agréables.

Les films de Hong Sangsoo se suivent et se ressemblent tout en étant à chaque fois différents des précédents. Après Les Femmes de mes amis sorti l’an dernier, avant Oki’s movie et le moyen métrage Lost in the mountains (contribution au film collectif Visitors) encore inédits chez nous, ce dixième opus enchantera une fois de plus les aficionados, ceux qui suivent le parcours du cinéaste depuis Le jour où le cochon est tombé dans le puits (1996), ravis de retrouver à chaque fois les motifs désormais familiers et d’en goûter les nouvelles et imprévisibles variations.

Car l’imprévisible est assurément un des maître mots du système Hong Sangsoo. S’appuyant sur un minimum d’éléments préétablis (20% d’après lui contre 50% à ses débuts), le cinéaste et ses acteurs trouvent le film au moment du tournage. Certains estimeront peut-être que le résultat ressemble par moments à du joyeux n’importe quoi : une jeune femme (Seongok, jouée par Moon Sori, épatante) qui pour marquer symboliquement sa rupture avec son amant décide de le porter sur son dos et s’écroule au bout de deux mètres ayant présumé de ses forces, une mère (Yun Yuhjung) qui corrige son fils trentenaire en lui demandant de soulever son pantalon afin qu’elle puisse le frapper à coups de cintre sur les mollets, un SDF qui poursuit un couple sur le quai un couteau à la main, sans parler des discussions arrosées qui immanquablement dérapent et des altercations en pleine rue. Car le cinéma de Sangsoo a le goût de l'ivresse.

Mais toute cette agitation extravertie (davantage que dans les opus précédents) est d’autant plus drôle qu’elle est toujours accompagnée d’une sensation d’inconfort, de gêne liée au sentiment d’humiliation souvent présent au coeur des relations qui se nouent entre les personnages.
Le jeu sur le dispositif narratif, une des constantes du cinéma de Hong Sangsoo, est ici particulièrement réjouissant et contribue à l’impression de vertige euphorisant s’emparant du spectateur qui a tôt fait de s’apercevoir que les deux histoires parallèles en fait se complètent à l’insu de leurs protagonistes-narrateurs, mais qui par moments ne sait plus très bien dans lequel des deux récits il est embarqué.

Bien sûr il y a chez le cinéaste une vraie maîtrise du cadre et de la scénographie que l’aspect faussement négligé d’un filmage usant volontiers du zoom ne saurait masquer. Quand les protagonistes d’une scène, attablés devant une baie vitrée donnant sur le port, parlent de l’hôtel où ils ont passé la nuit précédente, celui-ci apparaît évidemment sur l’autre rive, son enseigne (Hotel Napoli !), bien visible au centre de l’image.

Si l’humour dont est empreint le cinéma de Hong Sangsoo n’a jamais rien eu de cynique, il ose ici une forme de candeur presque naïve avec son personnage de cinéaste raté (Kim Sangkyung) qui découvre son courage en se faisant cracher dessus ou discute en rêve avec la figure idéalisée du Général Yi Sunsin (1545-1598) que Seongok, lors d’une visite guidée, défend avec une verve exaltée quand un touriste met en doute sa grandeur. Et plus encore lorsque l’autre protagoniste, Bang Junshik (Yu Yunsang) complètement ivre, vient présenter à son oncle sa compagne de longue date (Ye Yiwon), s’étant enfin accordé le droit d’être heureux avec elle. La scène où il se roule par terre avant d’embrasser le petit chien assis sagement à côté de l’oncle abasourdi vaut à elle seule le déplacement.
Oui, décidément, ce Hahaha est un Hong Sangsoo grand cru.

Claude RIEFFEL

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