Y a-t-il une philosophie de l’impôt ? A l’initiative du professeur Philippe Nemo se déroule depuis début mars à Sup’ de Co Paris un séminaire pour explorer les arcanes idéologiques de notre système fiscal. Saluons cette entreprise, puisqu’on est en droit de se demander si nos gouvernants ont effectivement des justifications de principe à proposer face au « toujours plus » qui vire chaque jour un peu plus à la confiscation.
L’interrogation est loin d’être anodine : en vertu de quoi les hommes de l’État prétendent-ils ponctionner les travailleurs (quel que soit le niveau de leurs revenus d’ailleurs), et s’agit-il au final simplement d’un rapport de forces où l’argent n’appartient en réalité à personne ?
Olivier Bertaux, juriste fiscaliste et chroniqueur du Cri du Contribuable, a exposé le 15 mars dernier les raisons qui poussent l’État à augmenter inexorablement les impôts, souvent par des tours de passe-passe : les charges et les taxes prennent progressivement des allures d’impôt (soit une contribution obligatoire sans contrepartie bien définie de la part du secteur public, ce qui est la définition même de l’impôt depuis ses origines).
En principe, l’impôt devrait servir à financer les services régaliens de l’État (sécurité intérieure et extérieure, justice et certains services sociaux fondamentaux). Il se doit d’être neutre au vu des activités économiques, sans interférences excessives sur le fonctionnement des entreprises ou le comportement individuel. Or il n’en est rien aujourd’hui. Depuis belle lurette, l’impôt est dévoyé, instrumentalisé pour servir des objectifs politiques, voire des programmes idéologiques plus ou moins avoués.
En commençant par la redistribution (le contribuable aisé a toujours tort, et la définition d’ « aisé » sera bientôt révisée pour inclure tous ceux qui ont la chance d’avoir un emploi), l’impôt sert souvent à sanctionner des citoyens politiquement incorrects (sauf s’il s’appelle Bernard Tapie). A l’inverse, lorsque le contribuable a la chance de conserver une partie de son revenu, cette situation est derechef qualifiée de « niche » fiscale (et il est vrai que les citoyens ne sont guère mieux traités que des chiens). Au niveau international, les niches sont connues sous le nom de « paradis fiscaux » (les enfers correspondants sont en revanche rarement évoqués pour des raisons que l’on imagine).
La créativité de nos élus est sans bornes lorsqu’il s’agit de trouver de nouvelles sources de financement pour leurs activités, ce qui explique l’étonnante santé de la dette publique française sur les marchés financiers. Sachant que le contribuable est corvéable à merci, l’État français est libre de poursuivre son endettement en toute impunité.*
Pour citer l’ouvrage récent ** d’Olivier Bertaux : « Rien n’est jamais gratuit pour le fisc. Que vous gagniez ou non de l’argent, que vous en dépensiez ou non, que vous soyez ou non propriétaire, vous serez taxés. » Revenus, dépenses, propriété ou activité professionnelle, le résultat est toujours le même. Peut-on en tirer un discours philosophique ? Si c’est le cas, celui-ci devrait se résumer par une formule aussi simple que brutale : le citoyen, que dis-je, le sujet doit casquer.
Par ailleurs, peut-on ouvrir les yeux pour regarder les expériences internationales réussies ? La flat tax, mise en œuvre dans plusieurs pays européens, a le grand mérite d’imposer tout le monde au même taux. En prime – mais ce n’est pas l’argument principal – cela permet d’augmenter radicalement les recettes fiscales, en accord avec la théorie de Laffer. En attendant de parvenir à une volonté politique de baisse durable des dépenses publiques, une telle utopie de rechange paraît souhaitable.
Enfin, pour bien jauger le caractère pernicieux de l’imposition contemporaine, il est urgent de sortir de la logique constructiviste qui consiste à se cantonner à des points techniques (tel impôt est-il « indolore » ? comment « optimiser » les recettes, etc) pour s’interroger plutôt sur le rôle légitime de l’impôt en fonction de son affectation appropriée et raisonnable. L’impôt pose la question de la souveraineté de l’individu dans une société libre et civilisée, contre la situation actuelle où le citoyen est inféodé à un État omniprésent et kleptocrate. Car n’oublions pas qu’un État qui se prétend capable de « donner » aux citoyens tout ce qu’ils désirent est également assez puissant pour tout leur prendre.
Jacob Arfwedson est consultant et journaliste
* Voir à ce sujet les ouvrages excellents de Charles Gave (Ed. Bourin)
** Au nom du fisc, Editions du Cri, 2009
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