La réhabilitation des squats: une ville à deux vitesses ? Petit éclairage d’Amérique Centrale pour cerner quelques enjeux et défis.

Publié le 18 mars 2011 par Servefa

J'en reste encore coi. Ébahi. Ça, pour sûr, quand on a un peu l'habitude des gros chiffres, on ne s'en remet pas si vite.

6,9 milliards.

La province Sud a obtenu la promesse d’une rallonge de 6,9 milliards de francs CFP au contrat de développement 2011-2015 pour la réhabilitation des squats. Sur la forme, il n'est pas difficile de constater que cela a été possible sans même présenter à la population l'ombre de l'ombre d'un plan (alors même que les discours en font état), sans même que soit rendue publique une stratégie ou proposée une équipe en charge du dossier voire fournie l'explication d'un plan de financement (pourquoi 6,9 milliards plutôt que, par exemple, 5,2 ?). Tout cela enfin sans que la décision de réhabiliter les squats n’ait pu être confrontée le temps d'un soupir à l'opinion publique, aux avis contraires, au débat, à la concertation.

Pourtant, je ne m'en cacherais pas, cette idée de réhabilitation m'a paru de prime abord séduisante. Dans son acceptation des squats non comme entité à supprimer mais comme éléments constitutifs de la ville à tisser au reste de la cité. Dans son ouverture pour une ville qui sache concilier les modes de vie océaniens, les exigences environnementales et le vivre-ensemble propre à l’urbanité. Dans sa compréhension de l'immense capital social qu'offrent ces « tribus urbaines » à la vulnérabilité des populations qui y vivent.

 

Mais, et j’espère que vous ne m’en voudrez pas, je ne suis pas idéologue (et moins encore partisan). Alors je m'en suis allé vagabonder dans la littérature scientifique sur les exemples venus d'ailleurs. Je me suis notamment rappelé des travaux que j'avais eu à élaborer à Montréal dans le cadre d'une étude transversale sur les productions non conventionnelles de logement social. Parmi ces dernières se trouvaient notamment les politiques insufflées par l’Agence de Coopération et de Développement International Suédoise (ACDIS).

Je vais maintenant me prêter à un petit exercice d’analogie en vous présentant les politiques menées par l’ACDIS afin de saisir les divergences et les convergences avec le projet provincial. Le but de la manœuvre étant d’interroger, avec un zeste de recul, l’action publique que l’exécutif de la province Sud envisage.

Une politique publique non conventionnelle

La stratégie de l'ACDIS consiste en la fourniture de subventions directement aux populations pour réhabiliter leurs habitats spontanés. En cela, elle s’oppose aux politiques de logement conventionnelles qui consistent en la construction de logements sociaux par la Puissance Publique (via des opérateurs publics ou semi-publics).

En effet, les politiques conventionnelles, dans la plupart des pays du monde, ont présenté des limites, qu’il vous plaira de lire à la lumière de l'exemple calédonien:

  • Un coût public prohibitif ;
  • Une faible qualité des logements ;
  • Des affectations de logements inéquitables ;
  • Des logements mal situés qui forment de véritables ghettos dans la ville
  • Un système rigide qui a des difficultés d’adaptation aux demandes et aux usages.

Aussi, en Amérique Centrale (Nicaragua, Guatemala, Honduras, Salvador, Costa Rica), l’Agence de Coopération et de Développement International Suédoise (ACDIS) participe à des programmes de logement très flexibles.

Impliquer les populations

En premier lieu, et il s'agit là d'une grande divergence avec le modèle calédonien dans lequel l'argent de réhabilitation paraît tomber du ciel, le financement implique une véritable gestion autonome des communautés dans des programmes de type "self help". Dans ces programmes, l’implication des gouverne

ments apparaît très faible. En revanche, le rôle des institutions financières décentralisées (microcrédit, fonds rotatifs), alimentées par l’ACDIS, qui complètent les épargnes des ménages, s'y avère très important. Enfin, les banques privées ont un rôle marginal (tout comme dans le processus en gestation en Nouvelle-Calédonie).

La posture "self help", dans la droite lignée des notions d'"enablement" et d'"empowerment" prônées par la Banque Mondiale ou ONU Habitat, se retrouve dans la gestion des ressources avec des agences non gouvernementales à but non lucratif et des trusts funds. Les fonds sont alloués selon des mécanismes qui reposent sur des organisations issues de la société civile (et non sur des structures institutionnelles classiques) avec des programmes visant explicitement à l’amélioration des logements précaires en partenariat avec les populations occupantes. Retrouvera-t-on cette posture "self help" en province Sud, qui permet de responsabiliser les populations pour les impliquer dans la vie de la cité ? Ou s'agira-t-il d'entrer dans une logique plus proche de ce que d’aucuns appellent « assistanat » saupoudrée d’une logique marchande: tu payes un peu pendant que la société fait pour toi ? Dans le projet de la province Sud, quels partenariats seront établis avec les populations ? Avec quelles implications ?

Mais venons-en aux faits: quels résultats eurent ces politiques de réhabilitation menées par l’ACDIS ?

Au niveau de l'équité, force est de reconnaître que ces politiques ont amélioré l'accessibilité au logement pour les populations les plus défavorisées. En effet, la grande flexibilité dans la fourniture des subventions et dans les types de garanties apportées par les populations a effectivement permis de cibler des populations très vulnérables. Par ailleurs, les ONG aident les ménages à faible revenu à accéder au crédit formel. Ainsi, les programmes d'aide de l'ACDIS agissent comme une première marche d’accès au crédit et invitent les populations à évoluer vers un système financier plus formel. Nous le voyons bien, en province Sud, nous serons loin de ce concept: l'argent ne transitera pas par les populations. En bon père de famille, l'autorité provinciale agira et demandera une participation financière aux populations sous la forme classique d’un loyer. Mais comment seront calculées ces participations ? En fonction des quels critères ? De quels efforts ?

En effet, si les programmes de l'ACDIS dédouanent les gouvernements (on ne peut pas en dire autant des programmes locaux !), ils ont l'immense avantage d'opérer dans une dimension participative forte  avec une réelle implication communautaire et l'intégration des populations dans l’élaboration sur mesures des aides et des programmes.

Améliorer durablement la situation des populations: la ville à deux vitesses.

L'efficacité quantitative de ces politiques n'est pas non plus à ignorer avec des programmes de grande ampleur qui ont concerné  depuis leurs mises en œuvre l’amélioration des logements de plus de 400 000 familles ! Mais c'est qualitativement que le bât blesse: les programmes de l'ACDIS n'ont pas offert de logements pour la décohabitation, la surpopulation n'a pas été traitée. Lorsqu'on sait que 60 000 personnes, dans le Grand Nouméa, vivent en situation de surpopulation dans des logements, nous voyons bien toutes les limites d'une telle politique en Nouvelle-Calédonie qui ne serait pas accompagnées d'une importante production de logement sociaux, bien évidemment adaptées aux populations locales (car n'est-ce pas là aussi que se situe l'enjeu ?). 

Par ailleurs, les programmes de l'ACDIS ont échoué à faire fonctionner le marché pour les pauvres: les logements réhabilités n’acquièrent pas une véritable valeur immobilière dans les marchés formels (du fait des risques importants pour les investisseurs) et il s'opère ainsi une véritable scission entre la ville formelle et la ville informelle. Loin de l'idée d'un destin commun fondateur de l'ambition du pays calédonien, les programmes ainsi menés risquent de contribuer à l'existence parallèle des communautés alors même que l'objet devrait être de créer une cohésion sociale qui intègre tous les habitats.

Enfin, en termes d'aménagement urbain et de durabilité environnementale (alors que financièrement les taux de recouvrement sont excellents), il convient de constater que les programmes de l'ACDIS ont été très peu intégrés dans les démarches de planification (tout comme les squats sont absents du Schéma de Cohérence de l'Agglomération du Grand Nouméa) ce qui se traduit notamment par des localisations dangereuses des zones d'habitat dans des secteurs fortement vulnérables aux risques naturels. Par ailleurs, il convient de réfléchir à l'outil de densification urbaine que peuvent constituer ces réhabilitations.

Les défis du Grand Nouméa

Ces questions, critiques, se veulent constructives. Il ne s’agit pas de jeter l’idée même de réhabilitation des squats mais bien d'en cerner les enjeux, les défis et les risques afin de réfléchir aux moyens de la réussite de cette politique (implication des populations, inclusion dans des ensembles de quartier, accompagnement de programmes de logements sociaux véritablement adaptés aux populations, etc.).

L'ensemble des remarques conduit effectivement à une extrême vigilance pour ce délicat programme de réhabilitation des squats du Grand Nouméa, qui, politiquement, ne manquera pas de provoquer de forts sentiments d'injustice ou même d'attirer de nouveaux squateurs. Il n'est ainsi pas question de jeter 6,9 milliards par les fenêtres dans des programmes mal-pensés qui finalement se contentent d'offrir, certes dans le contentement d’une partie des populations, le luxe d'éviter des constructions de logements sociaux impopulaires pour les communes de l'agglomération. En d’autres termes, telles que que la réhabilitation semble proposée, avec des poches de logement « low cost », n’assiste-t-on pas à une remise en question du vivre-ensemble que constitue l’urbain ?

Pourtant, le défi des squats est réel et magnifique, dans sa complexité anthropologique de définition d'un nouvel urbain appliqué au projet politique calédonien. Il implique en particulier d'éviter les politiques sectorielles et de penser la ville en système de sous-systèmes sans oublier l'once d'une thématiques (comme la délicate question des transports ou des voies de circulation: il serait par exemple pertinent d'associer à cette réhabilitation une réflexion sur la voie express qui continue de tuer les squateurs), de comprendre les volontés des populations et surtout d'impliquer les habitants dans un effort commun constitutif d'un nouvel espace public urbain calédonien qui métisse les quartiers et les populations.

Et vous, quel est votre avis sur la politique de réhabilitation de squats engagée par la province Sud ?

François SERVE