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Être laïc, en Terre d’Islam.

Publié le 17 mars 2011 par Naceur Ben Cheikh

1.   Samedi dernier, j’étais au rassemblement  pour la laïcité, organisé, à Sousse,  dans la  zone située  entre le Théâtre Municipal  et le siège régional de l’UGTT, en face du Commissariat Central de la ville. Y étaient  présents, nous faisant face, un groupe de jeunes dont l’islamisme extrême  ne se laissait reconnaitre  qu’à la violence des slogans « proférés » à l’encontre des laïcs qu’ils sont venus empêcher de manifester. Ces jeunes dont l’intervention rapide, inattendue et pour le moins intimidante, ne présentaient, en effet, aucun des signes distinctifs à partir desquels les islamistes affichent habituellement d’une manière ostentatoire, leurs convictions idéologiques  religieuses. Au moment, où  le Parti de  Rached Ghanouchi vient d’être autorisé à avoir pignon sur rue, il y a lieu d’observer, sans s’inquiéter outre mesure, ce glissement  vers des pratiques « miliciennes » banalisées, dont les instigateurs osent, par vidéos interposées, adresser des menaces à peine voilées, à l’encontre de ceux qui projetaient de rééditer  la même marche pour la laïcité, à Sfax.

2.   Après l’interposition des militaires  qui avaient, avec beaucoup de doigté, réussi à  faire dégager les jeunes « islamistes » des lieux, les tenants de la laïcité, avaient engagé une discussion qui se poursuit encore sur le Net  et qui  porte  sur l’opportunité de l’usage du terme « laïcité »  pour défendre la cause de la démocratie. Certains, de ces  jeunes islamistes les avaient, en effet,  traités d’impies, de juifs, et de comploteurs contre l’identité musulmane de la Tunisie et ont donc montré leur ignorance de la notion de « laïcité » qui ne s’oppose pas en fait, à aucune religion et plaide pour la coexistence tolérante de tous.

3.   Ce débat sur la laïcité, en pays à majorité musulmane, ne me semble pas toutefois prendre la dimension politique qu’il mérite. Les  laïcs ont beau expliquer  qu’ils sont prêts  à défendre le droit à l’expression des différents courants politiques, y compris l’islamisme, les jeunes islamistes, quant à eux, ne peuvent les entendre. Comme l’explique bien   le Professeur Mohamed Ettalbi, L’islam salafiste  exclut de son horizon de pensée toute vision démocratique de la gestion politique de la Cité. Et lorsqu’un Rached Ghanouchi se déclare démocrate, il ne fait que réitérer la position d’Henri IV qui avait abjuré son Protestantisme et s’était reconverti au Catholicisme, afin d’accéder au Trône de France, et aurait déclaré à l’occasion, comme on le sait, que « Paris vaut bien une messe » ! N’ayant pas, pour la plupart d’entre eux, d’ambition politique réelle, les laïcs, se présentent plutôt comme un mouvement d’intellectuels et d’artistes qui militent pour l’instauration de la démocratie. Il s’agit donc d’une cause « hautement » politique mais peu mobilisatrice, , parce que défendant, non pas une des idéologies qui se disputent la maitrise politique du réel, mais qui appelle au respect de la règle du jeu qui permettrait à ces dernières de vivre ensemble. Avec, comme sous entendu, cette idée qui donne toute sa « fonctionnalité » politique à la laïcité républicaine française  et qui se rapporte au fait que  les idéologies qu’il s’agit de faire coexister sont d’essence religieuse. « Notre Père qui êtes aux cieux – Restez-y – Et nous resterons sur la terre – Qui est quelque fois si jolie. » Parole(s) d’un Français authentique du nom de Prevert.[1]

4.   Comme on peut le constater, la laïcité sert à évacuer le religieux de l’espace politique, parce que les valeurs religieuses seraient de nature absolues, donc non négociables et peu favorables au dialogue. D’où le problème que pose au système laïc français, l’Islam politique dont la dimension identitaire collective le situe nécessairement, au-delà des limites du « privé » dans lesquelles, la laïcité républicaine confine la fonction du religieux en  l’évacuant  de l’espace social visible. A la différence du communautarisme anglo-saxon qui juxtapose les idéologies religieuses les unes aux autres, sans chercher à les faire dialoguer, quitte à en faire, comme le font les Américains des entreprises privées, dont la vocation consiste à produire et à échanger des valeurs spirituelles, de diverses marques, consommables sans modération. Les incidences  politiques de cette consommation de valeurs spirituelles, n’étant pas, explicitées, cela permet à celui qui l’emporte aux élections, au cas où il en serait porteur, de se poser, en champion de nouvelles croisades et de guerre des civilisations. D’où l’on peut comprendre que les « islamistes » de tous bords se trouvent, politiquement, beaucoup moins à l’aise, à Paris qu’à Londres, où le communautarisme  place la diffusion des idéologies religieuses au niveau de la liberté d’entreprise.

5.   En observant de plus près les fondements d’origine de l’Islam et son marquage propre, au sein l’espace commun des trois religions monothéistes du Livre, l’on peut remarquer que la dernière religion révélée se comporte vis des deux précédentes, non pas comme leur concurrente mais plutôt comme leur dépassement dialectique qui en  confirme  les messages , tout en prétendant les soustraire aux effets de dogmatisation qui auraient altéré leurs contenus libérateur d’origine. Et cela s’effectue par une invite constante  au recours à l’arbitrage de la divine raison. De la sorte qu’à la lecture du Coran, l’on se retrouve quelque part en Utopie, au-delà des discours mobilisateurs, et forcément aliénant des dogmes religieux, auxquels les musulmans, organisés en structures politiques ont réduit, à leur tour, le sens libérateur de l’Islam coranique et son œcuménisme sou jacent. C’est cette sacralisation, par le Coran, de l’Utopie du dépassement qui a permis ce dialogue fécond  et mythique, entre les tenants des mystiques juives et musulmanes en  terre d’Andalousie.

6.   Raisonner l’Islam politique, en terre dite d’Islam, en l’amenant à composition démocratique, par le recours au dépassement laïc de la question religieuse, ne peut s’effectuer que par l’abandon définitif, par l’Islam, de la spécificité libératrice de son Texte Fondateur, en transformant « le salut collectif » de l’Humanité qu’il promet, en « salut individuel » réalisable par chacun, en son âme et conscience et à titre  privé. C’est ce que les adeptes des différents dogmes musulmans n’arrivent pas à concevoir clairement, attachés comme ils sont à la fois à l’Utopie du Texte et à ces dogmes qui prétendent à sa réalisation possible ici bas. Et dans cette prétention à la réalisation de l’Utopie, peuvent s’ancrer tous les intégrismes politico-religieux sur lesquelles se fondent aussi bien la Saoudie que les Terres Promises d’Amérique et d’Israël.

7.    En réfléchissant de la sorte, l’on  pourrait  se risquer à dire que les tenants de la laïcité, dont le discours s’origine lui aussi, dans la Divine Raison et n’évacue pas, comme tous les artistes et intellectuels créateurs, la dimension spirituelle de l’existence humaine, pourrait se retrouver plus  proches de l’Islam coranique, que ne le sont les adeptes des différents dogmes dans lesquels s’ancrent les  différents « Islams politiques ». L’on peut observer à ce sujet que les habitués des festivals de Fez et de Tunis de « Musiques spirituelles » appartiennent dans leur majorité  à cette élite ‘intellectuelle qui se proclame de la laïcité. C’est que cette vision « utopique »  spiritualisante, que l’on peut trouver à l’Islam coranique (l’Islam du Livre) est étrangère, elle-aussi, comme la démocratie nécessairement laïque, à l’horizon de pensée du salafisme du Cheikh Ghanouchi. Ce professeur de philosophie « converti » à l’Islamisme, pour ses vertus mobilisatrices  et « reconverti » à la démocratie, par obligation politicienne, ne peut renoncer à une pensée religieuse  qui l’empêche encore  aujourd’hui, en tant que  Chef d’un Parti Politique autorisé, de déclarer « illégitime » le recours à la violence.

8.   Le débat sur la laïcité est beaucoup moins  un débat d’essence politique qu’il n’est, en fait, un débat à caractère fondamentalement culturel dont la légitimité est à rechercher non pas dans  la nécessité d’un « vivre ensemble »  des différents dogmes religieux, mais dans leur enrichissement réciproques par le dialogue continuel entre ce qu’ils occultent tous : leurs vocations d’origine qui est d’être des chemins  multiples et différents d’accès à la spiritualité, qui est, en toute réalité le véritable moteur de l’Histoire.

Naceur Ben Cheikh


[1] Paroles (1946), Pater Noster


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