Pourquoi je vote

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Ces derniers temps, des bruits courent comme quoi il y aurait des élections cantonales dimanche prochain ; franchement, ça m’étonnerait quand même un tout petit peu : si tel était vraiment le cas, nos media ne leur accorderaient pas une aussi petite place dans l’information. Enfin, je vais quand même me rendre au bureau de vote à tout hasard… Ah tiens, voilà une bonne idée d’article : vous donner les raisons pour lesquelles je vote ! J’ai, pour ma part, entendu assez souvent des abstentionnistes donner les raisons de leur non-participation aux scrutins, je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas pareil… Allez, on y va !

1. Ne pas voter peut faire le jeu de l’extrême-droite.

L’extrême-droite néo-fasciste ne demande pas mieux que le désintérêt des citoyens pour les affaires politiques, ne serait-ce que pour des raisons idéologiques : dans un État dirigé par l’extrême-droite, le chef décide et tout le monde doit la fermer ; dès lors, s’il n’est pas besoin de forcer les gens pour qu’ils ne participent pas à la vie publique, c’est tout bénef’ pour elle… Même sans cela, est-il besoin de rappeler que 2002, l’année où il y a eu le plus fort taux d’abstention à une élection présidentielle, fut aussi celle où le candidat de l’extrême-droite parvint à se qualifier pour le second tour ? « Si tu ne votes pas, d’autre le FRONT » comme disait l’excellent Maëster dans un non moins excellent dessin : voter, c’est donc doublement faire barrage à l’extrême-droite, et n’allez pas me répondre que ce ne serait « pas si grave » qu’elle arrive au pouvoir car, dans une dictature, il ne suffit pas de la fermer pour avoir la paix, les gens n’y sont jamais tranquilles quoi qu’il arrive.

2. Ne pas voter, c’est laisser quelqu’un d’autre choisir à sa place.

Imaginez que vous alliez au restaurant avec quelqu’un que vous ne connaissez qu’à peine ; chacun paiera ce qu’il mange. Allez-vous laisser votre convive choisir pour vous alors qu’il ne connaît pas du tout vos goûts, au risque d’avoir dans votre assiette quelque chose que vous détestez ? À mon avis, tel est ce que vous faites quand vous ne votez pas : vous laissez quelqu’un que vous ne connaissez pas vraiment faire à votre place un choix dont vous devrez tout de même assumer directement les conséquences. Pouvoir choisir ses dirigeants est une chance dont tous les peuples du monde ne jouissent pas et pour laquelle certains se battent avec ferveur, au péril de leur vie. Une idée ne devient pas respectable parce que des gens se battent pour elle, mais la possibilité de choisir ses dirigeants politiques trouve sa valeur pour en tant que telle dans son application concrète.

3. Voter peut permettre de changer les choses.

C’est une idée de plus en plus contestée, les hommes politiques élus n’offrant guère, personne ne peut le nier, un spectacle très reluisant. Néanmoins, est-ce une raison pour dire qu’ils se valent tous et que ça ne vaut pas le coup de choisir l’un d’entre eux ? Pour le moment, ces dernières années, nous avons surtout été ballotés entre PS et UMP (ex-RPR, ex-UDR), pour le meilleur et pour le pire, mais il y a d’autres partis politiques et rien ne nous oblige à ne voter que pour ceux qui ont déjà eu la majorité à l’Assemblée, malgré le matraquage médiatique qui s’efforce à nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative. Même sans cela, dire que tous les hommes politiques se ressemblent est caricatural : Coluche lui-même, après avoir dit « Un pour tous, tous pourris » dans un sketch, a fini par reconnaître, après l’expérience des restos du cœur, qu’il existait des élus authentiquement respectables, au point de préférer une formule moins généralisatrice, « Y en a des bien, hein ! Y a du beau, y a du bon, mais y a surtout du bonnet… » Le résultat d’une élection ne coïncide pas forcément avec le grand soir (c’est même assez rare), mais il peut faire bouger les choses, même de façon très relative : l’ancien président brésilien Lula ne ressemblait pas à ses prédécesseurs, Obama n’est pas Bush, Mendès France n’était pas Guy Mollet, Jospin n’était pas Chirac et tout vaut mieux que Le Pen. Au quotidien, ces petites différences peuvent s’avérer significatives et se traduire par des changements de notre quotidien. C’est pourquoi, pour ma part, je n’écoute pas les media qui vous font insidieusement croire qu’il n’y pas d’alternative autre que PS-UMP : ils disent ça parce que leurs patrons ont intérêt à ce qu’il en soit ainsi. Je n’écoute pas non plus ceux qui vous disent « si les élections changeaient vraiment la vie, il y a longtemps qu’elles seraient interdites », ce sont souvent des gens qui n’acceptent pas qu’on ne puisse pas changer la société en un tout de main.

Le piège rhétorique...

4. Voter, c’est se donner des chefs qui ont des comptes à vous rendre.

Il est vrai que ces dernières années, nos dirigeants ont eu trop tendance à l’oublier, mais c’est une réalité : quand les gouvernants tirent leur pouvoir de la volonté populaire telle qu’elle s’exprime par les élections, ils sont directement tributaires des électeurs et leurs doivent des comptes. Ce n’est pas comme dans une royauté où le monarque tire son pouvoir de Dieu ou dans une autocratie où le despote ne doit son autorité qu’à la force. En démocratie, un gouvernement qui fait mal son travail aux yeux du peuple peut non seulement être sanctionné dans les urnes mais peut aussi être contesté dans la rue ou dans les media ; toute démocratie digne de ce nom garantit la liberté de la presse, la liberté d’opinion et d’expression, la liberté d’association et le droit de grève précisément parce qu’il serait illogique que le peuple n’ait aucun moyen de sanctionner le gouvernement qu’il a lui-même mis en place. Dès lors, si je ne m’exprimais pas, premièrement, par les urnes, j’aurais l’impression de perdre une partie de ma légitimité à m’exprimer par d’autres moyens et je ne vous écrirais même pas.

Un exemple de chef qui estime ne pas avoir de comptes à rendre à son peuple...

5. Voter, c’est accepter l’idée que notre société n’est pas le meilleur des mondes.

Cette idée est un corollaire de la précédente ; dans les régimes autoritaires, la société vit sur un mensonge, celui au nom duquel elle serait absolument parfaite. Or, c’est là où le bât blesse : AUCUNE société humaine, précisément parce qu’elle est humaine (et non divine) ne peut prétendre à être parfaite, ne serait-ce que parce que l’ensemble des individus ne pourra jamais tomber unanimement d’accord sur la façon dont cette société doit être organisée – dire le contraire serait nier la spécificité humaine et l’irréductible singularité de chaque individu. En démocratie, on peut parfois se lasser d’avoir à choisir « le moins pire » des candidats disponibles, mais choisir les « moins pires » pour diriger la société, plutôt que de devoir se contenter du pire qu’on nous a imposé comme le meilleur, est un bien considérable. Quand je vote, je peux me tromper, mais je préfère risquer une erreur de mon plein gré plutôt que devoir supporter une vérité qu’on m’a imposée. Comme l’a dit un jour Wolinski, « je préfère des contradictions à des certitudes. »

Un exemple de "pire" qui a voulu se faire passer pour le "meilleur"... (cliquez pour agrandir)

Pour ces cinq raisons, je n’ai jamais manqué une élection depuis que je suis en âge de voter, et je ne ferai pas exception pour les prochaines cantonales, ne serait-ce que parce que ce genre d’élections locales permet d’éviter la dilution des voix qui se produit inévitablement au cours des élections nationales : un vote organisé à une moindre échelle permet de ramener la démocratie à un niveau plus aisément accessible pour tous, une bonne raison pour ne pas s’en priver. Enfin, c’est mon avis ! Après, moi, ce que j’en dis… Allez, kenavo !