L'obstruction démocratique version Sarkozy

Publié le 17 mars 2011 par Letombe

Au Japon, la situation nucléaire est devenue incontrôlable et imprévisible. Mais chut ! Nicolas Sarkozy a encore réaffirmé que l'engagement atomique de la France n'est négociable, ni discutable. En France, ses évènements internationaux sont si bruyants qu'on en oublie la précarité quotidienne. Et bizarrement, certaines études, pourtant éclairantes pour des débats comme sur les retraites, sont publiées très discrètement, avec des mois voire des années retraites. Le ministère du travail vient ainsi d'en diffuser une sur la pénibilité au travail réalisée... en 2007 !
Dans les deux cas, on appelle cela de l'obstruction démocratique.
Refus du débatMercredi 16 mars, Nicolas Sarkozy a fait une déclaration sur la situation au Japon lors du conseil des ministres, un véritable plaidoyer pour la filière nucléaire. Passées les phrases de circonstances (« bouleversés par ce drame qui touche un grand pays ami », etc), le Monarque n'eut de cesse de défendre la sûreté du système français. L'inquiétude, en France, est devenu générale.
Au Japon, le quatrième réacteur de la centrale de Fukushima n'a plus d'eau. La centrale est hors contrôle, nous annonce-t-on. Mais Sarkozy, ce mercredi, voulait encore répliquer, s'abriter derrière les circonstances naturelles exceptionnelles d'une part, et la prétendue supériorité française d'autre part, pour éviter tout débat.

« Enfin, cet accident nucléaire provoque à travers le monde un certain nombre d'interrogations sur la sûreté des installations nucléaires et les choix énergétiques. La France a fait le choix de l'énergie nucléaire, qui constitue un élément essentiel de son indépendance énergétique et de la lutte contre les gaz à effet de serre.
Ce choix a été indissociable d'un engagement sans faille pour assurer un très haut niveau de sûreté pour nos installations nucléaires.
L'excellence technique, la rigueur, l'indépendance et la transparence de notre dispositif de sûreté sont reconnues mondialement.
Je demeure aujourd'hui convaincu de la pertinence de ces choix.
Les progrès en matière de sûreté doivent être permanents et nous devons prendre en compte le retour d'expérience des accidents. Les enseignements de l'accident de Fukushima seront tirés, à travers une revue complète des systèmes de sûreté de nos centrales nucléaires. Ce travail sera rendu public. Le gouvernement s'y engage. En outre, la France apporte son plein soutien à la démarche similaire engagée au niveau européen. »

Là n'est pourtant pas le débat. La question est celle du risque à assumer, du prix à payer en cas d'accident. Le Japon connaissait ses risques sismiques. La centrale de Fukushima était protégée contre les risques de tsunami, mais cette protection se révéla insuffisante. Au final, Nicolas Sarkozy refuse le débat. Il réaffirme sa position, mais ne propose rien : « Au-delà, la politique énergétique est un enjeu essentiel du débat public.» Au-delà ? Au-delà du nucléaire, dogme intouchable en Sarkofrance.
Etudes cachées
Plus discrètement, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) vient de rendre public une étude sur la pénibilité au travail réalisée ... en 2007. La réforme des retraites est derrière nous, depuis longtemps. Nous nous étions déjà interrogés sur de précédentes rétentions d'informations gouvernementales: la même DARES avait attendu ce début d'année 2011 pour livrer d'intéressantes bilans annuels sur le travail de nuit ou les contrats d'apprentissage avec plus de 12 mois de retard. La compilation puis l'analyse de statistiques peut légitimement prendre du temps. Mais cette étude, un simple sondage réalisé en fin d’année 2006 et au début de l’année 2007, auprès de 14.000 ménages de France métropolitaine, il y a 4 ans, bat certainement nombre de records !
Le débat sur la pénibilité au travail est quasiment resté au point mort depuis 2007. A peine élu, Sarkozy avait toiletter coûteusement les régimes spéciaux de retraites - des régimes installés à leur époque pour justement prendre en compte certains métiers pénibles. Aucune remise à plat n'eut lieu. Il fallait juste s'en débarrasser.
En 2008, MEDEF et syndicats ne s'étaient pas d'accord sur sa meilleure prise en compte au travail. Comme le rappelait Alternatives Economiques à l'époque, « il est juste d'accorder des avantages spécifiques aux salariés qui ont subi des conditions de travail difficiles. (...) A 35 ans, l'écart d'espérance de vie entre les cadres et les ouvriers s'élève en effet déjà à plus de 7 ans pour les hommes. De plus, à 60 ans, un ouvrier vivra 29 % de son espérance de vie en situation d'incapacité, contre 19 % pour un cadre.»
L'an dernier, le gouvernement Sarkozy avait abusivement réduit la pénibilité à l'invalidité physique (à 10%), à 60 ans, attestée par examen médical, pour accorder une retraite anticipée, soit quelques 30.000 personnes par an. Et ces invalides physiques à 10% au moins de leurs capacités devront quand même attendre 67 ans pour bénéficier d'une retraite sans décote s'ils n'ont pas le nombre de trimestres de cotisation requis.  Le Monarque élyséen s'était même permis, un jour de juillet, de se féliciter : «Nous créons un droit nouveau.»
La question de la pénibilité est un sujet central en matière d'emploi et de retraites. Tout au long de sa tournée provinciale depuis janvier, Nicolas Sarkozy s'est attaché à assurer le service après-vente de sa fichue réforme, y compris et surtout devant des ouvriers comme à Saint-Nazaire ou à Beignon.
La DARES commence par un constat évident qui, comme on vient de le voir, a échappé à l'équipe Sarkozy depuis 2007 : « avoir connu un travail pénible physiquement durant une grande partie de son parcours professionnel peut provoquer une usure prématurée et concourir à une sortie précoce de l’emploi. »
Quatre situations de pénibilité ont été mesurées :  le travail de nuit, un travail physiquement exigeant, un travail répétitif, l’exposition à des produits nocifs ou toxique. Les résultats sont sans appel : selon l'étude, plus de 2,6 millions de personnes âgées de 50 à 59 ans ont été exposées à 15 années ou plus de pénibilité physique dans leur travail ! Cela représente 35% des effectifs concernés, dont 985.000 femmes et 1,6 million d'hommes. Sur ce total, 910.000 personnes ont été exposés plus de 15 ans à des produits nocifs, majoritairement dans le secteur privé ou indépendant (687.000).
Sans surprise, les auteurs notent que « les catégories socioprofessionnelles les plus exposées aux différentes pénibilités physiques sont les catégories ouvrières. 58 % des ouvriers ont connu au moins une pénibilité physique pen- dant quinze ans ou plus : 16 % d’entre eux ont été confrontés au travail de nuit, 22 % à un tra- vail répétitif, 40 % à un travail physiquement exi- geant et 21 % à des produits nocifs ou toxiques.» Ce sont justement chez les ouvriers que l'espérance de vie est plus courte, et que les carrières devront être, à cause de la réforme, plus longues.
Semaine après semaine, Nicolas Sarkozy a expliqué combien il était légitime de travailler plus puisque l'on vit plus longtemps. Quel argument imparable quand on reste grossier, qu'on évite l'analyse un peu fine mais pourtant à portée de mains ... ou de statistiques gouvernementales. L'argument sarkozyen, par essence et définition, simplifie. Ainsi, comment travailler plus longtemps si la pénibilité vous en empêche ? Et justement, pouvait-on lire dans cette étude si longtemps cachée : « le taux d’emploi décroît avec le cumul de pénibilités subies. (...) Moins souvent en emploi, les seniors ayant été durablement exposés à des pénibilités physiques sont plus souvent au chômage ou inactifs ». L'étude sort quelques chiffres : sur les 2,6 millions de travailleurs seniors cités plus haut, 549.000 déclaraient en subir deux, et 207.000 trois.
Il y a moins de 6 mois, Nicolas Sarkozy et ses ministres tentaient de nous convaincre que la pénibilité au travail se résumait à quelques dizaines de milliers de personnes. Les seniors épuisés se comptent en millions. Mais là aussi, le débat n'a pas eu lieu.

Sarkofrance

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